L'acteur se confie sur le film culte de Christopher Nolan.
En février dernier, alors qu’il n’était même pas encore question de confinement, Guy Pearce nous accordait très généreusement une heure trente sur Skype, afin de balayer sa filmographie hétéroclite et passionnante (à lire dans Première numéro 506). Alors que Tenet de Christopher Nolan s’apprête à sortir dans les salles, on a interrogé l’acteur de 52 ans sur le tournage de Memento, qui a propulsé sa carrière.
La première fois que vous avez entendu parler de Memento, c’était quand ?
Guy Pearce : Je serais bien incapable de vous donner une date, mais certainement autour de 1998. Un jour, mon agent m’envoie le script et me dit juste : « C’est incroyable. Mais ne sois pas surpris, la moitié se déroule à l’envers. » Je le lis, et je tombe de ma chaise. Waouh ! C’était fait pour moi, d’autant qu’à ce moment-là que je ne voulais plus tellement jouer dans des films de studios. Ce qui me branchait vraiment, c’était le cinéma indépendant. L’inattendu. J’avais d’ailleurs tourné Vorace et A Slipping-Down Life peu de temps avant, ça vous donne une idée de mon état d’esprit de l’époque. Bref, je suis hyper enthousiaste et je regarde immédiatement Following, le premier film de Christopher Nolan. Et là, je comprends qu’il se passe un truc avec ce mec. Je ne fais jamais ça, mais je l’appelle pour lui dire à quel point je veux faire ce film. Je tente le truc timidement, en ayant en tête les histoires dingues qu’on entend à Hollywood : ‘Cet acteur a campé trois jours devant ma porte, j’ai tout de suite su que c’était lui !’ (Rires.) Je suis un peu gêné, je m’excuse presque au téléphone. Je ne sais pas si c’est grâce à ça qu’il m’a pris, mais en tout cas ça s’est fait. Je crois que le rôle a été proposé à Brad Pitt et à quelques autres personnes aussi [Aaron Eckhart ou Alec Baldwin, NDLR]… Quelle chance j’ai eue, ça a été un game changer pour moi. Enfin… Plus ou moins. Ça m’a sûrement ouvert des portes, peut-être que certains ont pu enfin m’imaginer dans des rôles principaux. Le truc, c’est que ce film est sa propre star, vous voyez ce que je veux dire ?
Son concept est si fort qu’il dévore tout.
Voilà. Et tout est parfaitement exécuté, un vrai coup de maître. C’est marrant, on me dit souvent que L.A. Confidential était le dernier film de son genre : à l’ancienne, bon budget mais pas mirobolant, une vraie belle histoire à l’hollywoodienne. Alors que Memento était le premier de son genre : un film d’avant-garde, petit mais très efficace, hyper dur à appréhender. C’est un honneur d’avoir participé aux deux.
Comment vous êtes-vous préparé au rôle de Leonard ?
On a eu quinze jours de répétitions, ce qui est un vrai luxe. Ça m’a ramené à mes années de théâtre, quand on va vraiment au fond des choses. Et c’est d’autant plus précieux quand il s’agit d’un film aussi compliqué. Durant ces deux semaines, petit à petit, j’ai fini par connaître parfaitement le film et à comprendre son fonctionnement. Mais le truc le plus important pour moi était de capter la portée émotionnelle de ce personnage. Ça n’a pas été si dur que ça à jouer : normalement, sur un tournage - vu qu’on met les scènes en boîte dans le désordre -, il faut tout le temps jongler et se remettre dans l’état d’esprit du personnage à un moment précis, retrouver son énergie. Sauf que dans Memento, Leonard n’a aucune idée de ce qu’il vient de faire et de ce qu’il fera juste après. Je me répétais avant chaque prise : « Tout ce que je sais, c’est que ma femme me manque. Je suis dévasté. » Chaque scène devenait une entité en soi. Un peu comme un film à sketches. Quand j’y repense, la structure du script est vraiment incroyable. C’est un film bien plus malin que ce que les gens peuvent penser.
C’est-à-dire ?
Si vous le décortiquez un peu, vous vous rendez compte que le parcours émotionnel du personnage est totalement conventionnel, mais qu’il se construit avec un enchaînement de scènes n’allant a priori pas ensemble. Et pourtant Chris Nolan parvient à son objectif ! D’ailleurs c’est le seul film de ma carrière sur lequel on a tourné le script à la ligne près. Aucun changement. Pas un mot. Chris avait tout le film en tête à chaque instant, et il suffisait de le suivre. C’est fou, ça n’arrive jamais.
Ça permet d’être plus détendu en temps qu’acteur ?
Ouais. Ceci dit, il y avait quelque chose qui m’angoissait beaucoup : tous les passages en noir et blanc étaient prévus pour les deux derniers jours de tournage. Sauf que ça faisait beaucoup de scènes ! Donc chaque week-end, je répétais inlassablement dans ma chambre d’hôtel. Je voulais être prêt. J’avais carrément les post-it dans ma poche, j’accrochais la carte et les photos au mur, et je disposais tous les accessoires autour de moi. Sauf que je devais en même temps passer chez le coiffeur me faire décolorer les racines et apprendre mes dialogues pour la semaine d’après… Je disais à notre producteur Aaron Ryder : ‘On ne va jamais réussir à tourner toutes les scènes en noir et blanc en deux jours’. Il me répondait : ‘Je sais, mais on n’a pas le budget. Il va falloir que ça passe’. Et au début de la toute dernière semaine, il me dit qu’il a un cadeau pour moi : un jour de tournage en bonus ! Donc on a pu tourner ces scènes sur trois jours au lieu de deux. Heureusement, car on était encore pressés par le temps.
C’était seulement le deuxième film de Christopher Nolan. Comment était-il sur le plateau ?
Absolument impeccable, humainement et professionnellement. Un grand orateur, aussi. Je me souviens qu’il m’avait beaucoup impressionné. Certains cinéastes se focalisent plus sur les performances de leurs acteurs, d’autres sur la technique. Mais lui, il est brillant sur tous les fronts. Il faudrait que je l’appelle, ça fait longtemps qu’on n’a pas discuté…
Memento, disponible en DVD et Blu-ray. Tenet sortira au cinéma le 12 août prochain. Bande-annonce :
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