Avant de partir à Hollywood, ces réalisateurs belges ont frappé un grand coup avec Black.
Cette semaine sort Bad Boys For Life, une suite des films d’action de Michael Bay portés par Will Smith et Martin Lawrence en 1995 et 2003. La recette reste la même, à une exception près : Bay n’est plus à la mise en scène, remplacé par Adil El Arbi et Bilall Fallah, deux réalisateurs repérés en 2016 grâce à Black, une histoire d’amour ultra-violente filmée dans une banlieue de Bruxelles. Comment se sont-ils retrouvés aux commandes d’un blockbuster tel que Bad Boys 3 ? Le duo livrait quelques explications dans Première à l’occasion de la sortie de Black en VOD il y a quatre ans. Notez que le producteur historique de la saga, Jerry Bruckheimer, évoque également leur embauche dans l'interview ci-dessous.
Bad Boys for Life - Jerry Bruckheimer : "Ma motivation ? Divertir les gens !"West Side Story bruxellois ultra-violent, Black devait sortir dans les salles françaises avant de se faire rattraper par les attentats de Novembre et finir en VOD. Rencontre avec les deux réalisateurs d’un film explosif.
Mavela et Marwan sont amoureux, mais leur histoire est impossible. Mavela fait partie du gang des Black Bronx et Marwan des 1080, la bande rivale des marocains. Vous connaissez l'histoire : c’est celle de Romeo et Juliette, mais transposée de nos jours, dans la banlieue de Bruxelles, et portée à un degré de violence, de noirceur et d’incandescence rarement vue au cinéma. Aligné par la commission de classification, Black a écopé d’une interdiction aux moins de 16 ans avant d’être finalement privé de sortie salles – mais désormais disponible en VOD. Comment ? Pourquoi ? Les réalisateurs Adil El Arbi et Bilall Fallah racontent l'histoire de ce film hallucinant qui regarde l’amour s’effondrer dans une banlieue belge.
D'où vient le projet Black ?
Adil : Le film est adapté de Black/Back de Dirk Bracke, un roman très populaire en Flandre qu’on rêvait de porter à l’écran quand on était encore en première année de fac - à l'école de cinéma Sint-Lukas. On est tous les deux d'origine marocaine et le réalisme du sujet nous plaisait. Avec ce bouquin, on pensait pouvoir faire La Haine ou La Cité de Dieu, mais chez nous, dans notre quartier.
Avant Black, vous aviez déjà tourné Image, votre premier long-métrage.
Adil : Oui, mais c’est bien moins bon que Black (rires). En fait, on n'a jamais fini notre première année d'école parce qu’on s'est tout de suite mis à tourner. Notre premier court a gagné un prix qui permettait de financer le suivant. Mais comme on n’aime pas trop le format court on s'est dit qu'on allait mettre la thune directement dans un long. Ca a donné Image, la plongée d'une journaliste avec un caïd dans les gangs arabes de la banlieue bruxelloise. Le film nous a servi de brouillon. C'était comme un entraînement pour Black. Pendant le tournage d'Image, on a d’ailleurs pu récupérer le projet Black qui venait de perdre son réalisateur. Tu sais, en Belgique, il n'y a qu'un seul cinéaste d'origine arabe - Nabil Ben Yadir, qui a tourné Les Barons et La Marche. Aucun en Flandre. Il y avait donc une connection entre nous, le sujet, et la méthode de tournage. On n'avait pas peur de filmer dans ces quartiers, de montrer la violence qui y règne ou d'être taxés de racistes…
Vous parliez de réalisme, mais le film est tout sauf un film guérilla, tourné à l'arrache. La lumière est très travaillée, il y a des ralentis...
Bilal : Oui, parce qu'on ne voulait pas faire un documentaire. On voulait que Black ait de la gueule, que ce soit un film épique, grandiose. Qui claque. Notre cinéma, c'est Spike Lee, Scorsese. On part de la réalité mais on veut la transcender.
Le tournage n'a pas dû être de tout repos.
Adil : On a tourné dans des rues très dangereuses. Mais on n'avait pas le choix. On n'avait pas le fric pour avoir d'autres décors. Le premier jour un mec d'une bande africaine est venu nous voir pour nous dire « si vous vous barrez pas à six heures, je plante un mec de l'équipe ». Une autre fois, deux Marocains sont venus casser le matériel. Le lendemain ils rappliquaient pour s'excuser. Ils croyaient que le film racontait l'amour entre une Marocaine et un Black et quand ils ont su que c'était l'inverse, il n’y avait plus de problème (rires) ! On a tout eu : des jets de pierre, des menaces, une bagarre pendant qu'on filmait notre propre baston.
Vous avez recruté des non professionnels pour jouer.
Adil : Encore une fois, on ne pouvait pas faire autrement. En Belgique, la fiction est blanche, à la télé comme au cinéma. On avait besoin de jeunes Africains et Marocains et du coup, on a monté notre propre boîte de casting pour les trouver. On remeriera jamais assez Mathias Schoonaerts qui nous a aidé à la financer d’ailleurs.
Schoonaerts ? Et il n'a pas demandé à jouer dans Black ?
Adil : Il n'y avait rien pour lui ! A part peut-être ce flic blond et raciste, mais c'était un trop petit rôle.
Comment a été reçu le film en Belgique ?
Adil : Ca a déchiré ! Il y a eu des émeutes dès le premier jour de sortie. Beaucoup de jeunes de 14-15 ans voulaient le voir mais il était interdit aux moins de seize. Les flics étaient prévenus et se sont postés devant les salles au cas où. Ca a créé de la tension et ça a explosé. Il y a eu des bastons, des lacrymos…
Bilal : … et tout le monde a entendu parler de Black ! Résultat, on a fait près de 200 000 entrées. Pense qu'en Belgique à partir de 100 000 entrées c'est un succès gigantesque.
Adil : Et puis, il y a eu controverse...
Sur quel sujet ?
Adil : Certains disaient que Black donnait une mauvaise image de Bruxelles, que la ville n'était pas comme ça, etc. Et puis après le 13 novembre, certains critiques ont relié le film aux attentats.
Ce n’est pourtant pas du tout le sujet. Il n'y a pas de terroristes ou de djihadistes…
Non, mais ça a été un problème en France et c'est pour ça que le film n'est pas sorti en salles. On avait un distributeur (NDLR : Paname Distribution), tout était prêt. On nous a dit que, à cause du climat politique, le public n'était pas prêt à voir ce genre de films. Surtout un film tourné à Molenbeek. Et même si le film n'est pas politique et montre deux jeunes qui essaient de sortir d'une guerre de gangs, c'était déjà trop. Et Black s’est fait interdire.
Le film s'est d'abord fait interdire aux moins de 16 ans en France.
Oui. On ne savait pas que dans votre pays une interdiction aux moins de 16 ans signifie un suicide économique. C'est une manière de censurer un film, sans le faire de façon directe. Les exploitants des grands cinémas n'en voulaient plus, donc les petits non plus. Le distributeur n'avait pas d’autre choix que d'abandonner.
Vous n'avez pas eu votre mot à dire ?
Si, on a même proposé de couper dans le film, de retirer des scènes trop violentes pour pouvoir avoir une classification moins stricte. On nous a répondu que ça ne changerait rien. Que ce n'était pas la violence du film qui posait problème. Ce qui n’allait pas c’était son sujet, son atmosphère. Après les attentats de Paris le public français a encore peur de ça. Même si on l'évoque très légèrement c'est déjà trop.
Quel est votre prochain projet ?
On essaie de monter une comédie en Belgique, comme Black mais pour rigoler. Mais avant on va tourner aux Etats-Unis Snowfall pour la chaîne FX, une histoire de gangs de Los Angeles dans les années 80. On nous a aussi proposé de tourner le nouveau Tomb Raider, mais on a refusé. Il n'y avait pas encore d'actrice à ce moment-là (NDLR : c’est finalement Alica Vikander qui a jouéLara Croft sous la direction du norvégien Roar Uthaug, auteur de Cold Prey), et les adaptations de jeux vidéo ne marchent pas au box-office. A Hollywood, si tu fais un flop tu es mort ; on ne voulait pas prendre ce risque.
Interview Sylvestre Picard
Depuis cet entretien, Adil El Arbi et Bilall Fallah ont donc signé pour Bad Boys 3, et ont aussi été approchés pour travailler sur Le Flic de Beverly Hills 4, une suite confirmée en octobre dernier par Eddie Murphy en personne. L’accueil chaleureux de Bad Boys For Life aux Etats-Unis, tout comme celui reçu par l’acteur pour Dolemite is my Name, sur Netflix récemment, pourrait bien accélérer les choses…
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