Le co-fondateur du Studio Ghibli avait reçu le Cristal d'honneur au festival d'Annecy, en 2014.
Mise à jour du 23 juin 2020 : En juin 2014, Isao Takahata était invité au festival d'animation d'Annecy pour y recevoir le Cristal d'honneur. Il accordait alors une longue interview à Première, que nous republions à l'occasion de la 60e édition, qui se déroulera en ligne jusqu'au 30 juin. Le réalisateur japonais est mort en avril 2018 à l'âge de 82 ans, des suites d'un cancer du poumon. Le Conte de la princesse Kaguya est son dernier film.
Annecy 2020 : votez pour le Cristal des Cristal avec PremièreArticle du 23 juin 2014 : Co-fondateur du studio Ghibli, Isao Takahata est longtemps resté dans l’ombre de Miyazaki. Rare, impénétrable et insaisissable, avec ce style qui passe du comic (s)trip, à l’anime old school ou au manga tradi, il profite de la retraite du maître pour sortir son nouveau film. Et Le Conte de la princesse Kaguya est l’un de ses meilleurs. Tout est là : la narration sublime, les fusains à la ligne incomplète qui saisissent la vie cristalline avec une délicatesse de fleur, croquent son peuple de personnages vifs, vivants et attachants et fait surgir des éclats de réalisme sur-stylisé terrassants. Cette fable nostalgique synthétise surtout son discours d’humaniste radical et de bouddhiste warrior. Tout cela méritait bien une rencontre avec l’autre maître du manga.
Vous avez expliqué que vous pensiez à ce film depuis plusieurs années….
Depuis plus de cinquante ans. Mais pour des raisons technique et artistique, je n’ai pas réussi à le faire avant…
Cinquante ans ? On imagine que cette histoire a infusé toute votre œuvre du coup.
Pas forcément… En tout cas, j’ai l’impression que mon cinéma ne s’y est pas nourri tant que ça. En revanche, les films que j’ai faits et la technique que j’ai pu y développer, m’ont permis d’aboutir à Kaguya.
Pourtant, on y retrouve beaucoup de thèmes qui irriguent vos films - le rapport fusionnel à la nature ou le déracinement. Est-ce que Kaguya est un film somme ?
Je ne sais pas… Si je regarde l’ensemble de ma filmographie, je suis forcé d’admettre qu’il y a des lignes directrices qu’on retrouve ici. La plus évidente étant la présence d’un personnage principal qui est une jeune fille indépendante. C’est là dès mon premier long, Horus prince du soleil, puis dans Kié et dans mes séries télévisées… Mais je serais bien incapable de vous expliquer pourquoi. J’en conviens, c’est tout. Mettons ça sur le compte du hasard.
La particularité de Kaguya, c’est ce style visuel épuré.
J’avais ce design en tête depuis très longtemps, mais il me manquait les compétences pour réaliser un film comme ça. L’idée c’était de faire vivre, de faire vibrer les lignes. Je ne voulais pas de dessins complets, finis. Au contraire, je voulais qu’on ait l’impression d’ébauches, que le spectateur puisse y projeter ses propres sensations, ses souvenirs et ses fantasmes pour les nourrir.
Ces dessins évoquent également l’art japonais contemporain de la naissance du conte.
Vous avez raison. Il ne subsiste que très peu de dessins du IXème siècle et les premières peintures qu’on connaît datent plutôt du XIIème ou XIIIème siècle. Ce furent des influences essentielles pour Kaguya : nous avons puisé dans la longue tradition japonaise de dessin représentant la nature de manière simple. Un coup de crayon, une ébauche…
L’autre thème du film c’est l’irruption du surnaturel, avec l’apparition des habitants de la lune à la fin.
Ils existaient dans le conte original, mais sans détail physique, sans précision sur leurs vêtements par exemple et j’ai dû trouver un mode de représentation… Je me suis inspiré de dessins bouddhistes. Dans cette tradition, quand on meurt, on est emporté dans un monde parallèle, « l’Amida ». Les peintures qui y font référence représentent souvent des personnages sur des nuages, avec une troupe de musiciens… En les regardant, je voyais beaucoup de joie et j’ai essayé de capturer cette impression pour représenter les « gens de la lune ».
Ils apparaissent finalement peu.
Parce qu’ils ne m’intéressent pas beaucoup. L’important, c’est ce qu’il se passe sur terre. La nature et les êtres humains ont plus de charme que ces créatures du paradis.
Pourtant le surnaturel est essentiel. Dans Kaguya, comme dans Pompoko par exemple.
C’est difficile à dire… Mon rapport au fantastique est particulier. Je ne fais pas comme Miyazaki qui a crée un univers entier de fantasy. Le surnaturel chez moi s’apparente au spirituel. C’est, si vous voulez, la matérialisation de la vie intérieure, une manière de traduire un état de l’être humain. Quand vous parlez des Dieux dans Pompoko ou dans Kaguya, ce sont des scènes tirées de la tradition bouddhiste. Mais je ne cherche pas à illustrer cette philosophie. Ce que je prétends représenter c’est MA vision de la vie et de la mort.
Les films Ghibli classés du pire au meilleurVous parliez de Miyazaki… est-ce qu’on peut dresser un parallèle entre Kaguya et Ponyo ?
Pas du tout. Précisément pour la raison évoquée : Ponyo se déroule dans un monde de fantasy. C’est un être surnaturel qui vient contaminer le monde des humains. Mon approche est plus « documentaire ». Vous vous souvenez de la scène de l’inondation dans ce film ? Et bien personne ne meurt. C’est comme dans Mononoke… Miyazaki a imaginé un univers personnel fantastique très beau, très intéressant. Mais je m’accroche plus au réel. Dans Pompoko il y a beaucoup de scènes avec les ratons laveurs. Ces scènes peuvent sembler fantastiques, mais elles servent à montrer ce qu’il se passe réellement dans les montagnes…
D’où ces scènes quasi documentaires qu’on retrouve souvent dans vos films ?
Les lignes simples de l’animation sont finalement plus intéressantes que la prise de vue réelle : en live, ces séquences auraient le goût du déjà vu pour les spectateurs. Ici elles prennent valeur d’exemple…
Pourquoi avoir mis si longtemps à réaliser Kaguya ?
La première raison tient aux difficultés liées à la représentation du monde de la lune. C’est un monde très pur, avec peu de sentiments contrairement au monde des humains. Très compliqué à mettre en scène. L’autre raison est industrielle. Il y a eu huit ans de production et quatre à partir du moment où nous avons commencé les dessins. C’est lié au fonctionnement du studio Ghibli, mais aussi à l’immense travail que ce film a réclamé. En le voyant, j’espère que les spectateurs imaginent l’effort que l’harmonisation des personnages, des séquences et des décors a demandé…
Justement, comment avez-vous travaillé sur le décor ?
Au Japon la nature a souvent été représentée. C’est notre chair, notre sang. Le directeur artistique du film a passé sa vie à dessiner des feuilles, des arbres, des plantes. Au point de les intégrer. Parfois on revenait à la photo, mais le plus important, c’était ce qu’il avait en lui. Nous avons dessiné un nombre incalculable d’herbes japonaises non répertoriées par exemple. Elles existent toutes ! Toutes ! Ca aussi, ça fait partie de mon penchant pour le documentaire.
Vous avez utilisé les images de synthèse ?
Oui. Mais pour mettre en valeur les dessins, pour les effets de pinceaux et les couleurs.
Comment cette production s’est-elle insérée dans les plannings Ghibli ?
Pour être honnête, produire deux films en même temps est impossible pour Ghibli. Pour réaliser Kaguya, nous avons embauché des artistes hors du studio.
Miyazaki a donc annoncé qu’il prenait sa retraite. Ca vous a soulagé ? Est-ce que vous y voyez l’opportunité de pouvoir produire plus et plus facilement ?
Vous savez, je suis plus âgé que lui… Et ce film a coûté très cher. Je ne suis pas sûr de pouvoir produire d’autres films comme ça. C’est rare d’annoncer sa retraite comme il l’a fait… Mais je crois que je n’ai pas un grand futur devant moi.
Le Conte de la Princesse Kaguya, d'Isao Takahata, est sublime [critique]
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