Un parfait inconnu de James Mangold
The Walt Disney Company France

Le choix de Timothée Chalamet, la solitude de Dylan, les clichés du biopic… Le réalisateur James Mangold décortique son portrait du chanteur de Like A Rolling Stone.

De passage à Paris mi-janvier pour la promotion d’Un Parfait Inconnu, évocation de la jeunesse folk de Bob Dylan avant sa fameuse mue électrique de 1965, James Mangold détaillait devant une poignée de journalistes les intentions de ce vrai-faux biopic, tourné sous l’influence d’Amadeus, le chef-d’œuvre de Milos Forman sur la rivalité entre Mozart et Salieri. Où l’homme qui a déjà mis en scène Wolverine, Indiana Jones et le combat de Ford contre Ferrari (Le Mans ’66) se montre toujours aussi à l’aise quand il s’agit de réfléchir aux grands mythes pop. Morceaux choisis.

De Mozart à Bob Dylan
"J’adore Bob Dylan, mais c’est en soi une très mauvaise raison de faire un film sur Bob Dylan… Ce qui m’intéressait, c’était de traiter de la question du génie. Qu’est-ce que le génie ? Qu’est-ce que ça fait d’en avoir ? Et de ne pas en avoir ? Quand j’ai commencé à travailler sur ce film il y a six ans, et que j’en ai parlé pour la première fois à Timmy (Timothée Chalamet), je lui ai dit que je voulais faire Amadeus dans le monde de la folk music. J’avais des idées très arrêtées : je ne voulais pas essayer de plonger dans la psyché de Bob Dylan, afin de trouver une réponse toute simple du genre : « oh, ma maman m’a dit ceci quand j’avais six ans », ou « mon frère m’a fait cela », ou « je n’avais pas d’amis à l’école »… C’est une formule très directe, je l’ai d’ailleurs déjà utilisée dans Walk the Line, dans lequel on parlait des traumas d’enfance de Johnny Cash. De Will Hunting à Des gens comme les autres, je pourrais citer une centaine de films où le héros a un secret psychologique qui est révélé au troisième acte. Grâce à la science freudienne, il est guéri et renait tel le phénix car il n’est plus traumatisé par son secret. C’est une structure classique du cinéma américain mais… ça aurait vraiment été une façon à la con de faire un film sur Bob Dylan ! Parce que ma théorie est la suivante : le fardeau de Dylan, le poids qu’il porte sur ses épaules, c’est son talent. Son génie. C’est à la fois un cadeau et une malédiction. Une malédiction, dans le sens où ça l’isole du reste du monde."

Un parfait inconnu (1280x720)
Searchlight Pictures

"Dur d’être Bob"
"Très vite dans la vie de Dylan – et dans le film – son génie fait de lui une marchandise. Et tous les gens qui l’entourent finissent par avoir une idée derrière la tête, en lien avec son talent. Dans Un Parfait Inconnu, il n’y a peut-être que trois personnages qui ne sont pas dans un rapport « transactionnel » avec Bob : celui d’Elle Fanning, qui n’attend que de l’amour et de l’intimité ; Johnny Cash, qui est son ami ; et Woody Guthrie, son mentor. Mais Pete Seeger (Edward Norton) a besoin d’une folk star pour être la tête d’affiche du festival de Newport. Joan Baez est dans une forme de compétition avec lui. Albert Grossman est son manager, il tire donc profit de Dylan. Les gens de la maison de disques, les organisateurs de Newport… ils ont tous besoin que Dylan ait du succès. La raison pour laquelle Seeger et l’équipe de Newport ne voulaient pas que Dylan abandonne le folk et passe au rock, c’est qu’ils allaient perdre leur produit d’appel, leur star numéro 1. Ce sont des relations impures. Le génie engendre plein de réactions chez ceux qui y sont confrontés – de la jalousie à l’idolâtrie – dont aucune ne relève de l’amitié. On retrouve cette énergie à la Salieri même dans le cœur de quelqu’un d’aussi pur que Pete Seeger. Ça doit être dur d’être Bob… Il y a un terme qu’il a utilisé plus d’une fois quand j’ai pu passer du temps avec lui, c’est « solitude ». Son passage à l’électrique avec un groupe vient en partie de son besoin de camaraderie."

Célébrité
"Des années soixante à aujourd’hui, de Bob Dylan à Timothée Chalamet, la nature de la célébrité n’a pas réellement changé. Ses mécanismes, oui, avec les smartphones et tous les instruments de l’instantanéité. La célébrité peut vous tomber dessus plus vite, elle peut s’évaporer plus vite aussi. Il y a ce présupposé dans l’histoire pop qui dit que si tu es doué pour faire du rock’n’roll, ou une autre forme d’art populaire, alors tu seras bon au jeu de la célébrité. Mais être un grand artiste ne fait pas automatiquement de vous quelqu’un d’à l’aise avec la célébrité ! Il y a des gens qui ne sont bons qu’être célèbres. Et d’autres qui ne sont bons quand dans l’expression de leur art. Bob Dylan, je ne jugerai pas s’il est bon ou mauvais en célébrité, mais disons qu’il n’est pas très à l’aise avec le type d’attention qu’on reçoit quand on est Bob Dylan. Il est très à l’aise en revanche quand il s’agit d’être l’artiste Bob Dylan."

L’intelligence de Timothée Chalamet
"La seule chose que Bob Dylan m’a demandée à propos de Timmy, lors de notre première rencontre, c’est : « Est-ce qu’il peut le faire ? » Je lui ai dit que j’avais foi en Timmy et Bob m’a fait confiance. Mais c’est toujours un pari. Peut-il gagner le championnat ? Peut-il gagner l’Oscar ? Comment savoir ? On ne sait jamais...Tim me paraissait être le bon choix. Ça paraît encore plus facile à dire aujourd’hui. J’avais besoin de quelqu’un de jeune, de doué, de maigre, qui pouvait chanter. J’avais également besoin d’un acteur qui cogite, dont les yeux témoignent d’une activité cérébrale intense, car Bob est clairement quelqu’un d’hyper intelligent. On ne peut pas tricher avec l’intelligence. Et j'avoue que ça ne faisait pas de mal non plus que Timmy soit une star bankable – cet aspect-là a d’ailleurs été multiplié par cinq depuis que nous avons commencé à travailler sur le film !"

Un Parfait Inconnu, de James Mangold, avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning… Actuellement au cinéma.