Dévasté par sa séparation avec Catherine Deneuve aux débuts des seventies, le cinéaste se plonge corps et âme dans l’adaptation d’un roman sur les affres d’une passion désaccordée.
Les années soixante-dix sont les grandes absentes du catalogue Netflix. La raison en est simple. Truffaut producteur de tous ses films via sa société des Films du Carrosse s’associe avec la United Artists - donc Hollywood - après l’échec de Fahrenheit 451. Des « histoires » de droits épars rendent donc impossible l’exhaustivité. Exit La mariée était en noir, La sirène du Mississippi, L’enfant sauvage, La nuit américaine, L’Histoire d’Adèle H., L’Argent de poche, L’homme qui aimait les femmes et La chambre verte.
L’amour ne connaît pas de repos
Parmi les survivants des seventies, Les Deux Anglaises et le Continent (1971) occupe une place centrale dans l’œuvre. A la fin des années soixante, Truffaut connait l’une des pires phases de sa vie intime. Amoureux fou de sa Sirène du Mississippi aka Catherine Deneuve avec qui il vit durant deux ans, sa séparation avec l'actrice le plonge dans une dépression carabinée. Comme souvent (toujours !) avec lui, le cinéma est le seul remède capable de réparer les blessures. Truffaut repense à Jules et Jim et à un roman autobiographique du même auteur, Henri-Pierre Roché. Les Deux Anglaises et le Continent est une sorte de journal intime où l’écrivain raconte sa jeunesse et son amour pour deux sœurs anglaises. C’est surtout l’histoire d’une passion chaotique et désordonnée, où les différentes parties ne parviennent jamais à accorder leurs violons. Trop tôt, trop tard, pas assez, débordant, impatient, volage, puritain, physique, sentimental… L’amour ne connait pas de repos. Les points de rencontre sont trop rares pour produire autre chose que des rendez-vous manqués.
« Presser l’amour comme un citron ! »
L’action se passe au tout début du XXe siècle, Claude, un jeune dandy français (Jean-Pierre Léaud pour la première fois dépouillé des habits d’Antoine Doinel chez son mentor) se rend en Angleterre où il va bientôt tomber sous le charme de deux sœurs bien élevées. Anne (Kika Markham), la plus entreprenante laisse le champ libre à sa cadette, Muriel (Stacey Tendeter), plus fragile et effacée. Claude se laisse guider mais la vie et les convenances en décideront autrement. « Je crois qu’avec ce film, j’ai désiré presser l’amour comme un citron. », explique le cinéaste « présent » à l’écran en voix-off. Pour lui, ce film c’est un peu « le jeune Proust qui tomberait amoureux des sœurs Brontë. » De fait, le film distille un romanesque assumé qui l’écarte de toute modernité et la critique telle l’une des héroïnes montre de sérieux problèmes de vue. « Je me suis embêté de la première seconde à la dernière », s’exclame le pourtant très respectable Jean-Louis Bory. Dans les cinémas, certains spectateurs aimeraient que l’on tourne moins autour du pot. La délicatesse dont fait preuve Truffaut passe mal. Pourtant cette retenue presque maladive, donne toute la puissance à ce drame aux couleurs délavées (la photo de Nestor Almandros est du grand art), où la mise en scène d’une pureté qui frise la raideur exprime tous les élans contrariés des protagonistes.
Réincarnation
Film central parce qu’il va, en effet, permettre au cinéaste d’explorer dans son sillon les ravages de l’amour faisant fi du contemporain pour accéder à l’universel. L’histoire d’Adèle H., réalisé quelques années plus tard, constitue d’ailleurs une sorte de prolongement. Un peu comme si l’une des héroïnes s’était réincarnée en une autre. Idem avec La chambre verte où cette fois l’amour basculera vers l’au-delà. Par sa retenue (au diable les grandes reconstitutions !), son dépouillement dans l’incarnation (les interprètes ressemblent à des spectres assoiffés) et surtout sa façon de traiter la langue et le langage, Truffaut fait jeu égal avec ses modèles littéraires (Stendhal, Balzac…) Car seule la littérature n’a jamais su aussi bien s’approcher comme ici, de la (dé)raison des sentiments.
Fahrenheit 451, le projet le plus fou de François Truffaut
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