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Les exploitants de salles de cinéma tirent la sonnette d'alarme après le deal historique signé entre la plateforme de streaming et le studio hollywoodien. Netflix tente de rassurer, mais Donald Trump évoque déjà un possible "problème"...

C'est un séisme pour l’écosystème des salles de cinéma, déjà fragilisé depuis la pandémie. Et dans les salles obscures, on a rarement autant tremblé.

Le choc provoqué par le rachat de Warner Bros. par Netflix pour 82,7 milliards de dollars continue de fissurer toute l’industrie. Les exploitants voient soudain leur principal fournisseur de blockbusters passer sous pavillon d’un géant du streaming connu pour ses fenêtres de diffusion minimalistes, voire inexistantes.

Cinema United, le plus puissant lobby des exploitants américains, n'a pas tardé à tirer la sonnette d'alarme. Selon son président Michael O’Leary, "l’acquisition proposée de Warner Bros. par Netflix représente une menace sans précédent pour l’exploitation mondiale". Il ajoute :

"L'impact négatif se fera sentir des plus grands circuits jusqu’aux salles indépendantes à écran unique dans les petites villes américaines et partout dans le monde".

Et son message est limpide : "Netflix ne soutient pas le modèle économique du cinéma en salle. C’est même l’inverse. Les régulateurs doivent examiner attentivement les détails de cette opération et comprendre les conséquences qu’elle aura sur les consommateurs, l’exploitation et l’ensemble du secteur".

Derrière ce cri d’alarme se cache une donnée brutale : Warner Bros. pèse environ 25 % du box-office annuel aux États-Unis. Si Netflix décide de réserver les productions WB à sa plateforme, des centaines de millions d’entrées pourraient s’évaporer du jour au lendemain.

L’inquiétude des exploitants

Chez les dirigeants de salles, les réactions oscillent entre panique et incrédulité. Stacey Spikes, cofondateur de MoviePass, résume la stupeur d’une phrase : "Le monde vient de changer d’axe".

Chris Randleman, dirigeant de la chaîne de cinémas Flix Brewhouse, ne cache pas son espoir de voir l’État fédéral bloquer la vente : "J’espère que l’accord sera annulé pour que Warner puisse être repris par un acteur plus adapté". Il appelle même les talents hollywoodiens à entrer dans la bataille : "Toute la propriété intellectuelle du monde ne sert à rien si les réalisateurs et les acteurs refusent de travailler avec vous".

The Studio
Apple

Les artistes montent au créneau

Dans ce climat de sidération, Seth Rogen imagine comment son personnage de patron de studio — Matt Remick, dans The Studio — réagirait à une telle annonce (via Variety) :

"Il serait terrifié. Il serait du genre à penser que si tu fais du bon travail, ta société ne sera jamais vendue à une boîte tech... Il aurait tort, manifestement ".

Son acolyte Evan Goldberg reste dubitatif sur l’issue du deal : "Qui sait si ça arrivera vraiment ?" Et il glisse une suggestion : "Pour moi, c'est le groupe de cinémas AMC (le plus gros exploitant américain) qui devrait racheter Warner. Personne ne verrait venir ça. Et ce serait l’antithèse de Netflix".

Sean Baker, réalisateur oscarisé d’Anora, fait aussi entendre sa voix. Forcément un avis qui compte, compte tenu des statuettes remportées cet hiver. S'il reste prudent tant que le deal n'est pas acté, il pose une ligne rouge claire : "Les cinéastes doivent taper du poing sur la table. On ne doit pas réduire les fenêtres d’exploitation, mais les élargir". Lors du Red Sea Film Festival, en tant que président du jury international, il a enfoncé le clou :

"C’est ainsi que le cinéaste veut que vous voyiez son film : en salle. Tous les autres peuvent attendre. Mon prochain film aura une fenêtre de cent jours, quoi qu’il arrive. Le streaming direct diminue l’importance d’un film. La salle, elle, la magnifie".

Faudra-t-il que les stars hollywoodiennes montent au créneau les unes après les autres ? Le peuvent-elles seulement, sachant que la plupart des acteurs et actrices ont déjà largement cédé aux sirènes du streaming ces dernières années ?

Netflix veut rassurer

Face à cette levée de boucliers de l'industrie, Ted Sarandos tente d’éteindre l’incendie. Au cours d'une réunion avec Wall Street, le co-PDG de Netflix rappelle (via Deadline) que "Netflix a sorti environ 30 films en salles cette année" et assure ne pas être hostile à l’exploitation cinéma — mais seulement aux longues exclusivités.

"Les fenêtres longues et exclusives ne sont pas très adaptées aux consommateurs", argue-t-il, alors que les grands circuits tentent justement de réinstaurer des fenêtres de 30 à 45 jours, mises à mal pendant le Covid. Quant aux inquiétudes sur l’avenir des films Warner, Sarandos se veut rassurant : 

"Je ne dirais pas que cette fusion marque un changement d’approche, ni pour les films Netflix ni pour les films Warner. Je pense qu’avec le temps, les fenêtres d’exploitation évolueront vers quelque chose de plus adapté aux consommateurs… pour aller là où se trouve le public. C’est ce que nous voulons tous faire à terme. Mais pour l’instant, vous pouvez compter sur le fait que tous les films prévus pour sortir en salles via Warner Bros. continueront de sortir en salles via Warner Bros. Et les films Netflix suivront la même logique qu’aujourd’hui : certains bénéficieront d’un passage court en salles avant d’arriver sur la plateforme."

Suffisant pour calmer l’industrie ? Loin s'en faut. Et c'est le Président américain qui pourrait avoir le dernier mot.

Que va faire Donald Trump ?

Tous les regards se tournent déjà vers Donald Trump. Le locataire actuel de la Maison Blanche adore se poser en sauveur, et il pourrait se faire un malin plaisir de venir au secours des talents d'Hollywood, toujours en opposition frontale face à lui politiquement. Il raconte d'ailleurs avoir déjà rencontré Ted Sarandos dans le bureau ovale, il y a quelques jours, pour évoquer cette fusion titanesque. Et il l’avoue : le poids d’un Netflix fusionné avec Warner Bros. et HBO Max « pourrait poser problème ».

Devant les caméras, lors de la soirée des Kennedy Center Honors, Donald Trump a assuré que l’opération devrait "être examinée" et qu'il sera "impliqué dans cette décision".

Fidèle à son sens du spectacle, il lâche :

"Ted Sarandos est un homme fantastique. J’ai beaucoup de respect pour lui, mais ça ferait quand même beaucoup de parts de marché.... Il n’y a aucun doute. Ça pourrait poser problème."

Sous entendu, les lois antitrust, très strictes aux Etats-Unis, pourraient finalement bloquer un deal qui cumule les risques. Le département de la Justice et la Federal Trade Commission sont attendus au tournant pour examiner le dossier.  Trump précise que le processus devra "suivre son cours, et on verra ce qui se passe..."

Rien n’est encore gravé dans le marbre.

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