Première
par Thierry Chèze
Comment s’approprier son propre désir, face à des parents étouffants à force d’inquiétude et un petit ami aimant mais trop impatient ? Voilà la question qui traverse ce premier long dont l’action se situe en 1993, au cœur de la décennie noire algérienne. Selma, 17 ans, vit avec sa famille d’origine berbère à Neuilly et voit son cocon se fissurer. A commencer par l’équilibre familial où, face à ce qui se déroule en Algérie, son père et sa mère se divisent sur la conduite en tenir : s’y installer comme acte de résistance ou rester sagement en France ? Le récit d’émancipation que propose ici Kamir Aïnouz se place donc sur un double terrain, intime et politique, pour rappeler que, pour toute ado, le droit de disposer librement de son corps n’appartient qu’à elle. Le récit s’appuie sur des personnages jamais manichéens, aimants certes mais maladroits dans leur amour, castrateurs sans s’en apercevoir. Et la cinéaste aborde frontalement la question du corps comme dans cette scène violente où Selma décide de se libérer de sa virginité avec un concombre. Tout autour d’elle semble libéré et moderne. Mais tout dans les faits traduit l’inverse. Dans ce rôle, Zoé Adjani impressionne par son aisance à se balader dans la multitude des sentiments contradictoires traversés par son personnage. Elle rappelle la puissance tranquille de Lyna Khoudri dans Papicha et Zbeida Belhajamor dans Une histoire d’amour et de désir. Même si Cigare au miel apparaît moins maîtrisé, notamment dans sa deuxième partie algérienne, trop didactique, sans pour autant mettre en mal l’ensemble de l’édifice.