Première
par Sylvestre Picard
Si vous ne vous rappelez pas les détails de l’univers du Château des singes, premier long de Jean-François Laguionie sorti en juin 1999, ce n’est pas bien grave tant sa suite se pense comme un film indépendant. Et le film se chargera de vous faire pénétrer en douceur dans son monde, par le truchement du prince d’un royaume simiesque ambiance Renaissance, échoué sur le rivage d’un autre pays, une espèce de dictature scientifique qui a atteint le niveau technologique de la fin du 19ème siècle. Visuellement, musicalement, oralement, Le Voyage du prince est une véritable merveille. Le film nous plonge par tous ses moyens de cinéma dans un univers pastel qui serait sur la frontière entre les Cités obscures de François Schuiten et les tableaux oniriques de Florence Magnin. Ce n’est pas qu’une question de dessin (même si on aimerait disparaître dans le lieu principal de son action, un institut scientifique à l’abandon, calme et nocturne, au milieu de la jungle) : le storytelling du film, d’une douceur rêvée, nous fait réellement plonger dans cet univers rêvé, aussi beau que terrifiant, qui menace de déraper en cauchemar à chaque instant. Les singes version industrielle obéissent aux lois de « l’obsolescence programmée », consomment frénétiquement des objets périssables et vivent par la politique de la peur de l’autre. Mais en fin de compte, le prince de ce Voyage choisira l’exil plutôt que la révolution, confortant son statut de film précieux, qui veut délibérément se situe à l’écart du monde.