- Fluctuat
Passionnément, comme dans le jeu de la marguerite où le hasard qui a porté ma main jusqu'à cette fleur, tourne et me jette, par un coup du sort, dans le monde bouleversé des passions. Un monde sans histoire, ou si peu : Un amour, brisé par des circonstances sociales, refait surface, quinze ans plus tard. Alice (Charlotte Gainsbourg) et Bernard (Gérard Lanvin) se retrouvent pour constater que leur rupture est restée indépassable.
Ce que cherche Bruno Nuytten dans son film c'est la chance qui culbute, chavire et se relève, le monde en avant du coeur qui bat, de la fièvre, de l'eau glacée et du contre-jour qui fait venir à moi le réel, toute présence, sous forme de désastre éclatant. En vérité, ce sont des hommes et des femmes en gloire que, vécue passionnément, la vie dévoile. C'est cette gloire que le cinéaste capte avec une rare intelligence de l'image, fouillant dans le paysage jusqu'à la qualité plastique de l'air pour résonner avec l'état psychologique de ses personnages. Ainsi une séquence de Diane blessée dans la forêt, où Alice court, se griffe aux ronces, dans un plan large laissant entrer la végétation de telle façon que la jeune fille semble s'y fondre. Elle disparaît d'ailleurs entre les arbres en criant, et la couleur de l'air au petit matin, dans ce bois, résonne sur les notes claires qu'a laissé, en passant, son vêtement bleu pâle. La correspondance, l'absence de limite entre le corps, le coeur et la nature, voilà la corde romantique que pince en nous Bruno Nuytten.Passionnément est un film d'une grande finesse, suprême élégance pour un sujet (la passion amoureuse) si difficile à tenir à bonne distance. Rien de trop et rien qui manque, la tragédie est montrée avec cette même précision clinique qui donnait au Vent de la nuit (Philippe Garrel) son implacable intensité. Bien sûr nous sommes chez Nuytten. C'est le photographe d'India Song (Marguerite Duras) qui parle encore à travers ce sens ample, mature, de la couleur et du cadre cinématographique.Son film, s'il est un régal pour l'oeil et pour ce qui, dans l'esprit, répond à l'oeil (c'est déjà beaucoup), manquera peut-être de piquant à celui pour qui les choses se passent plus en bouche, par la parole, le récit, drame, suspens, etc. Mais, encore une fois, l'intention s'éclaire si on pense à India Song, ce film de si peu de mots que Duras porte, par l'image et le temps qu'elle déploie comme une onde autour d'eux, à leur puissance d'évocation maximum. Une intensité inquiétante où la langue semble sur le point de se rompre pour décrire, communiquer (au sens fort de ce mot), le choc amoureux du vice-consul de France à Laor face à Anne-Marie Stretter.Loin du minimalisme provoquant de Duras, Nuytten dialogue par des voix plus conformes aux règles du cinéma narratif, avec le secret des âmes éperdues. Voici donc un film pour nos yeux, dans la mesure où, ainsi que le remarque Jacques Derrida, l'essence de l'oeil qui «est le propre de l'homme», ce n'est pas la vue mais les larmes.Passionnément
De Bruno Nuytten
Avec Gérard Lanvin, Charlotte Gainsbourg
France, 1999, 1h44.
Passionnement