Pour son bouleversant premier documentaire, le comédien s’est aventuré dans l’Arctique pour tenter de se relever de la tristesse inconsolable dans laquelle l’a laissé la mort de son meilleur ami Gaspard Ulliel. Rencontre-confidences alors qu’il est présenté aujourd’hui au festival Cinéroman.
Partenaires dans le Saint-Laurent de Bonello, Gaspard Ulliel et Jérémie Rénier étaient bien plus que des amis. De véritables frères. Et la disparition brutale du premier le 19 janvier 2022 dans un accident de ski a laissé le second inconsolable. Comment se relever d’une absence chaque jour un peu plus insupportable ? Durant son douloureux processus de deuil, Jérémie Rénier a croisé la route de Loury Lag, un explorateur professionnel et a accepté sa proposition de l’accompagner lors de son expédition en Arctique.
Le documentaire D’un monde à l’autre, sa toute première réalisation en solo, est le récit de ce voyage. Celui où face à l’immensité des paysages, aux conditions extrêmes rencontrées et aux péripéties inattendues et déstabilisantes qu’elles engendrent, il va se confronter à la douleur de l’absence de l’ami disparu à jamais pour s’en libérer. Fait par un autre, ce voyage accompagné en voix-off par ses mots comme un journal intime partagé, aurait pu paraître impudique ou voyeuriste. Mais la pudeur de Jérémie Rénier, l’homme qu’il est et qui n’a jamais tiré la couverture à lui l’empêche naturellement de tomber dans cet écueil. Après le chaleureux accueil reçu au festival d’Angoulême et juste avant sa présentation au festival Cinéroman de Nice, il a accepté de nous raconter cette aventure pas comme les autres, encore sans distributeur, mais qui mérite de trouver au plus vite le chemin des salles.
Comment débute l’aventure de D’un monde à l’autre ?
Après la mort de Gaspard, j’avais perdu le goût à beaucoup de choses, dont celui du cinéma. Sans entrer dans des détails trop intimes, je traversais une grosse dépression. Cette perte m’avait achevé. J'étais enseveli de quelque chose qui me poussait vers la mort. Je vivais en Espagne, je passais mes journées à lire, à écrire, enfermé chez moi. C’est lors d’une de ces journées sans fin que je suis tombé sur une interview de Loury Lag sur Brut et je trouve le personnage assez incroyable. Je vais voir son compte Instagram, je like ses posts. Et assez vite, l’échange entre nous commence. Une semaine après, il m’envoie son livre qui relate tous ses exploits mais où on trouve aussi une lettre de pardon à son père dans laquelle il dit « je te pardonne de la violence que j'ai subie ». Car Loury est un enfant battu. Ce livre m’a hyper touché. Et, dans la foulée, je lui ai spontanément envoyé un mail en lui expliquant où j’en étais dans mon histoire personnelle et en lui disant que j’avais la sensation qu’on devait faire quelque chose ensemble. Sans savoir qu’il était alors en train de perdre son papa d'un cancer. On a mis un peu de temps avant de pouvoir se retrouver mais on a fini par passer deux heures dans un café. Il m’a raconté ce qu’il traversait. Ca m’a bouleversé. Je vois des liens entre nous. Et il m’a proposé, puisqu’il avait senti que je recherchais une forme d'introspection puissante, de partir avec lui en Arctique pour sa mission à venir.
Vous dîtes tout de suite oui ?
Je le vois comme une main tendue qui va me permettre peut- être de sortir de l’état dans lequel je me trouve. Donc je lui dis tout de suite oui. Mais le planning était à la fois très serré et précis par rapport à l’état de la banquise. Je vais donc voir le producteur Hugo Sélignac qui est aussi mon ami. Je lui raconte tout et je lui explique que j’ai envie de suivre et de filmer Loury. Très transparent, Hugo me répond qu’il n’est pas certain d’être la bonne personne pour produire un film d’exploit sportif mais me suggère d’accompagner ce voyage en me livrant, en expliquant pourquoi j’entreprends ce voyage.
Vous réagissez comment ?
Au départ j'étais très frileux. Je n’avais pas du tout envie de me raconter, de me mettre en avant, d’être dans la lumière. Donc je luis dis non. Et puis j’en parle à Loury qui, lui, trouve l’idée géniale et me fait changer d’avis. Je décide donc de jouer le jeu en écrivant une espèce de trame de ce que pourrait être ce voyage et de pourquoi j'y allais. Puis je vais chercher un ami d'enfance qui est chef opérateur. Je lui explique que j'ai besoin, dans ce voyage très intime, d’être accompagné par quelqu’un avec qui je dois me sentir très libre, protégé par un regard bienveillant. Il me prend d’abord pour un fou, conscient du danger mais finit par me suivre.
Ce danger, vous en aviez aussi conscience ou vous l’occultiez ?
Croyez-moi, j'en avais conscience car Loury m’a tout de suite dit qu’avant de partir, il voulait voir ma famille pour leur expliquer les risques que j’allais prendre. On a donc fait un déjeuner avec les enfants et nos femmes respectives, où il a expliqué qu’il y avait 50% de chances que je ne revienne pas et qu’il fallait donc qu’ils en soient d'accord et conscients. Tout le monde m'a soutenu et une fois sur place, j’ai été vraiment confronté au danger dont il parlait et de manière vertigineuse.
Qui vous a accompagné sur place, à part votre ami chef opérateur ?
Dans des conditions aussi extrêmes, n'importe quel technicien ne peut pas y aller. Il faut être formé, posséder une condition physique de psychopathe pour tenir à moins 40°C, avec du blizzard et un ours blanc qui vous piste ! J’ai donc contacté des spécialistes capables d’aller techniquement dans des biotopes aussi dangereux que ça. Mais tous m’ont dit : « les gars, là où vous allez, si vous ramenez des images, on est curieux de les voir ! » Je crois que j’avais minimisé le truc. On a fini par trouver un jeune gars qui n’a pas eu froid aux yeux. Mais je pense que mes producteurs ont un temps douté que je ramène des images
A un moment vous filmez seul…
Oui, l'équipe est partie. Après ce qui s'est passé avec Loury comme on le voit dans le film et dont je laisse la surprise, la production a voulu arrêter mais m'a laissé le choix. C'était vraiment très noble et très beau de leur part. Car ce sont eux qui m'ont appris la situation. Moi, j’étais abasourdi et ils m’ont dit « écoute, si tu veux arrêter, on comprend, si tu veux rentrer aussi » Et j’ai décidé de rester et je me suis retrouvé pendant deux semaines à me filmer seul avec une caméra
A ce moment- là, avez- vous un début de commencement d’idée de ce que ce film allait pouvoir donner ?
Non. J'ai plein de pistes. Je filme plein de choses à la volée, face à moi qui ne sont pas dans le film au final. Et puis avec un zigoto comme Loury, je vis des rebondissements, toutes les deux minutes. Dans un scénario, on m’aurait reproché le manque de crédibilité. Mais on s'est sauvé la vie l’un l’autre. Sans lui, quand l’ours nous a attaqués, je serais sans doute mort. Car à moins 40, quand tu sors de cette tente, il faut mettre 200 couches sous peine de crever instantanément.
Une fois le tournage terminé, qu’est ce qui se passe ?
Il y a eu le temps de savoir comment trouver la personne adéquate pour monter ça. Quelqu'un ayant le courage de s'atteler à ce travail - qui va s’étaler sur un an et demi - et capable de comprendre la sensibilité, le potentiel de ce que j'avais. Et cette perle rare fut Bruno Tracq, le monteur de Baloji (Augure). Une pièce essentielle du puzzle car il faut parvenir à trouver un film parmi les 20 heures de rushes et ce en trouvant la bonne distance car je suis tellement pudique que j’ai eu peur qu’on me reproche de tirer la couverture à moi. D’ailleurs si on eu très vite une trame, ça a pris du temps pour que je sois de plus en plus présent. Au début, je disparaissais. J’avais d'ailleurs organisé une projection pour une amie qui m'avait dit : « mais Jérémie, t'es où dans le film ? ». Il n’y avait alors aucune voix-off. Et j’ai fini par accepter d’oser me montrer plus. Cette amie m’avait expliqué que c'était une chance que je puisse communiquer qui je suis, ce que je ressens, ce qui se passe dans mon coeur. Ses mots ont trouvé un écho en moi. Mais je ne l’aurais jamais fait spontanément. Il fallait qu’on m'y pousse. J'ai eu beaucoup de pudeur par rapport aussi à cette mort, à ce deuil. Parce que je suis comme ça. Parce que je n’ai pas envie de m'accaparer ce deuil qui appartient à tout le monde et à sa famille en particulier.
Mais le temps qui s’est écoulé rend précisément la chose plus universelle non ?
Oui et c’était mon désir de départ. Que tout le monde ayant vécu un deuil puisse s’y retrouver. La trame du récit, c’était comme je n'avais pas eu l'occasion de dire au revoir à Gaspard, je partais là- bas pour le faire. Comme la lumière du phare dans tout ce brouillard. Et dans le montage, tout ce qui n’accompagnait cette ligne a fini par disparaître
Comment avez- vous écrit ce qu’on vous entend confier à l’écran ?
J’écrivais ce qui se passait, je faisais des vocaux avec un enregistreur qui se congelait de temps en temps et que je devais réchauffer en le collant sur mon corps. Sans penser forcément au résultat, juste pour avoir une trace de ce que je vivais sur place. Loury m'avait très tôt expliqué qu’il serait complexe d'expliquer ce qu'on allait traverser à quelqu’un qui n’était pas sur place et ne le vivrait pas. Les mots manquent pour raconter le fait d'être rongé par la banquise, le froid, la violence psychologique surtout. On peut tenter d’imaginer le danger mais on sera toujours en dessous de la réalité. Alors je devais trouver les mots de ce que je vivais au moment où je le vivais car sinon cela aurait disparu, la retranscription aurait été imparfaite. Ce qu’on entend dans le film s’appuie donc sur ces vocaux que j’ai réenregistré en les réécrivant et en essayant de trouver le ton juste pour les dire. Et, étrangement, le fait de me retrouver devant une caméra pour un projet qui ne soit pas une fiction m'a redonné envie de refaire l’acteur.
Quand savez-vous que le montage est terminé ?
Je suis un éternel insatisfait qui a toujours des doutes. Mais j’arrête quand je comprends que je ne peux aller plus loin et quand mes producteurs - en qui j’ai une totale confiance - me l’assurent. Ce film est atypique, il y a certainement des erreurs mais désormais il ne m'appartient plus. Et ça, c’est très agréable !
Vous avez montré D’un monde à l’autre pour la première fois à Angoulême. Comment l’avez-vous vécu ?
J’avais très peur parce qu'en plus je ne suis pas très à l'aise dans ce genre de manifestation et le fait de me mettre en avant. Et encore moins forcément avec quelque chose d'aussi intime et personnel. Mais tout s’est pourtant magnifiquement passé. C’est comme si c'était la première fois que je pouvais parler à cœur ouvert, sans prétendre quelque chose d'autre que ce que je suis. Le retour des spectateurs m’a touché. J’ai pris conscience que ce sont eux qui désormais vont accompagner le film. Idem pour le choix du distributeur. Je n’en ai pas aujourd’hui car je n’ai pas pensé ce film dans l’idée un jour qu’il sorte en salles mais consciemment ou inconsciemment pour me sauver. Ce qu’Hugo Sélignac avait su comprendre dès le premier jour. Et je veux trouver un distributeur qui ait envie de s’en emparer de ce geste- là pour le prolonger.
D’un monde à l’autre. De Jérémie Rénier. Durée : 1h13. Sortie indéterminée







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