A deux jours de la clôture, Thierry Frémaux réussit en ajoutant Making Fuck Off au programme ce que tout le monde attendait de lui - mais n'espérait plus. Surprendre ! «Quand la sélection est bonne, c’est grâce aux films, quand elle est mauvaise, c’est à cause du sélectionneur.» Ainsi parlait Gilles Jacob plein de fois, et notamment le jour de l'annonce de la sélection officielle. La vieille blague a fait rire tout le monde. Mais après 10 jours de compet', les valises sous les yeux et l'envie de dodo chevillée au corps, on avait (presque) tranché. On était prêts à accompagner - avec délicatesse, hein - la bronca critique qui menace (« jamais vu un festival aussi chiant » balançait encore un copain à la terrasse du Square). Dès le début c'était plié. L’absence de Malick, le film, avait fait souffler un vent de crise sur la Sélection. Et celle de Godard, le mec, avait eu raison des derniers bastions d'optimisme. Frémaux était condamné à surprendre, il nous avait endormis. Ça, c'était jusqu'à hier soir. Jusqu'à ce que, vers 23h, la news tombe comme une sorte de gag absurde (c’est ainsi qu’on l’a pris d’ailleurs) : le sélectionneur venait de rajouter un film à sa Sélection. A deux jours de la clôture, il sortait de son chapeau un joker en forme de doc. Un de plus ? Pas vraiment et c'est là que ça devient fort. Parce que le making of de Mammuth, ovni Grolandais avec un Depardieu maousse qui refait le monde sur sa moto est plus qu'un simple joker, et change radicalement la donne. L'invitation de Loach au début du festival avait filé un coup de blues supplémentaire aux festivaliers, en ramenant la sélection vers ses pantoufleries habituelles. Du palmé, de l'officiel, du lourd ! Celle de Making Fuck Off, avec son titre-étendard et son sujet en or massif, apparaît comme une vraie surprise. Le film Messie devient la preuve qu'une sélection peut être envisagée comme un gigantesque work in progress. D'abord le geste est beau : on attendait Malick, Frémaux se rattrape avec Fred Poulet. Ramener le réal de Substitute (titre prédestiné) pour un doc sur les Grolandais, filmé en super 8, avec son lot d'autistes et de dégénérés, il fallait le faire. C'est tellement fou, que pour oser un truc pareil, Frémaux doit être sacrément sûr de lui ! Du coup, nous aussi. Le vrai coup de théâtre, est aussi de placer en vedette un film qui semble aux antipodes du génome cannois. Depuis quatre films, Delépine et Kervern inventent avec un sérieux fou des constructions mentales et scénographiques complètement autistes. Chacun de leurs films (bons ou mauvais) témoignent d'un émerveillement rustre, prosaïque et original, d'une liberté irréductible. Mitoyens de Groland et donc de la culture populaire, gorgés d'odeurs de bières et de latrines, leurs films surréalistes n'ont a priori rien à foutre face à Loach, Mike Leigh (leur cousin embaumé ?). Que ces mecs-là soient invités qui plus est même pas pour leur film, mais pour une balade dans leurs coulisses, est le plus beau pied de nez que les Sélectionneurs pouvaient faire à la presse, aux grincheux et à la presse grincheuse. On ne le voit que demain, mais Making Fuck Off pourrait casser in extremis toutes les idées préconçues d'un cinéma cannois encaustiqué, toutes les doxa épuisantes et réussir le coup de coaching gagnant, comme un entraîneur de foot qui ferait rentrer à 10 minutes de la fin, le mec qui plante le but de la victoire.G.G.
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