Auteur d’un premier long enthousiasmant sur fond de passion amoureuse entre deux blessés de la vie, le cinéaste revient sur deux interprètes virtuoses Khansa Batma et Ahmed Hammoud
Comment est né Burning Casablanca, cette histoire d’amour tapageuse entre deux âmes perdues: Larsen, une rock star déchue car dévoré par ses addictions et Rajae, une fille de la rue au caractère bien trempé ?
Ismaël El Iraki : C’est un film que j’ai porté pendant très longtemps car forcément un OVNI pareil n’est pas simple à financer en France et pas vu d’un très bon œil par le gouvernement islamiste au Maroc. Mon court métrage précédent y avait d’ailleurs été interdit comme le précédent long métrage de mon producteur Saïd Hamich (Much loved de Nabil Ayouch). Autant vous dire qu’on sentait un peu le souffre et que trouver des financements sur place fut un vrai parcours du combattant. Mais pour ce qui est de la création ce film, il y a eu quelque chose de l’ordre du feu de forêt, de l’incendie. Presque à mon corps défendant. Ce film s’est évidemment nourri de tout ce que j’aime (la musique, les comédiens, les quartiers de Casablanca, la maison de ma grand- mère…) mais aussi de ce que j’avais de plus sombre en moi. C’est le seul film que je pouvais faire en sortant vivant du Bataclan le 13 novembre 2015 ! Un film sur la résilience. Une histoire d’amour entre deux survivants.
Ces deux survivants sont incarnés par les époustouflants Khansa Batma, une chanteuse qui fait ici ses débuts sur grand écran et Ahmed Hammoud qu’on avait découvert en 2016 dans Mimosas, la voie de l’Atlas d’Oliver Laxe, Grand Prix de la Semaine de la Critique. Avez- vous écrit pour eux ?
L’envie d’écrire pour Khansa Batma est même sans doute à l’origine du projet. Je l’ai connue sur scène. Aller à un concert de Khansa Batma, c’est une expérience, je vous l’assure ! Elle est hallucinante. Elle a un courage inouï. Elle est plus grande que la vie. Elle écrit elle- même ses textes. Elle est issue d’une aristocratie rock marocaine. Son oncle Larbi était le chanteur d’un groupe légendaire des seventies, les Nass El Ghiwane, qu’on peut entendre dans La Dernière tentation du Christ et que Scorsese appelait les Rolling Stones de l’Afrique. Son grand- père était poète. Pour moi, même si elle n’avait jamais joué et si elle n’est pas connue en dehors du monde arabe, Rajae ne pouvait être incarnée que par elle. On m’a évidemment poussé à prendre quelqu’un de plus expérimentée et de plus connue mais c’était non négociable tant elle constitue le cœur battant de ce film. L’étincelle qui l’embrase. J’ai donc écrit ce rôle pour elle. Je lui ai volé des choses aussi comme j’ai pu en voler aux d’autres comédiens en parlant avec eux. Je me sers aussi de qui ils sont. Les rôles sont aussi écrits à partir d’eux.
Ce fut aussi le cas pour Ahmed Hammoud ?
Oui mais à une différence majeure près : Ahmed a été le dernier invité dans cette aventure. J’ai en effet longtemps cherché le comédien pour incarner Larsen Snake. J’ai vu… 51 personnes, à Casablanca, à Paris, à Bruxelles, à Londres… J’ai cru que j’allais devenir dingue. En cherchant l’interprète d’un type fêlé et fragile, je me retrouvais à chaque audition face à deux types de comédiens. Une moitié imitait De Niro et l’autre moitié me faisait Jamel ! (rires) Soit rien de ce que je cherchais. Ahmed est arrivé à la toute fin d’une journée de casting épuisante. Et la seule manière dont il est entré dans cette pièce et dont il marchait en balançant ses pieds en avant comme s’il ne savait pas où ils allaient atterrir m’a suffi. Une sorte de mélange entre un serpent, David Bowie et un chat ! J’ai donné à son personnage la veste en peau de serpent de Marlon Brando dans L’Homme à la peau de serpent, l’attitude de connard de Lou Reed, le toucher de guitare de Slash des Guns N’ Roses mais surtout mes cauchemars et mes visions du Bataclan. Et Ahmed a immédiatement compris une chose essentielle : le fait que son personnage porte les attributs féminins du film. Car sa masculinité est fragile, fêlée, dénuée d’agressivité. Alors que Rajae porte, elle, beaucoup d’éléments masculins. Une femme forte tout sauf victime, qui prend en charge son destin, qui fait avancer l’histoire par des ruptures
Cela a influencé votre mise en scène ?
Totalement ! On a filmé Rajae comme John Wayne. En contre- plongée, en plan américain. Et c’est aussi un désir de sa part : elle ne veut pas être filmée comme un mannequin. Elle l’a été quand elle avait 17 ans. A 42 ans, elle aspire à autre chose et se régalait à être une icône de western. Alors qu’on a filmé Ahmed comme Marlene Dietrich ! (rires) De manière très éclairée. Cette inversion des clichés était une volonté de mise en scène.
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