L’oscarisé Jean-Xavier de Lestrade revient sur le meurtre de la jeune Laëtitia Perrais en 2011, près de Pornic. Un fait divers qui avait révélé d’intenses souffrances sociales et que cette série retranscrit avec une colère froide.
Après une première diffusion en septembre 2020, sur France 2, la mini-série Laëtitia est rediffusée ce soir, et pour les trois prochaines semaines, sur France 3. Un événement télévisuel à découvrir absolument...
Récompensé en 2002 par l’Oscar du meilleur documentaire pour Un coupable idéal, Jean-Xavier de Lestrade s’est toujours intéressé à la frontière entre réalité et fiction et aux manières de représenter par l’image la violence et les injustices du monde. Après trois séries pour Arte (3xManon, Manon 20 ans et Jeux d’influence), il adapte le roman-enquête d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes (Seuil, 2016) et s’empare de « l’affaire Laëtitia », survenue en 2011 en Loire-Atlantique.
Ce tragique fait divers vit Laëtitia Perrais, 18 ans, être sexuellement agressée puis sauvagement assassinée par un criminel multirécidiviste de 31 ans. Placée en famille d’accueil avec sa sœur jumelle dès l’âge de 13 ans, Laëtitia avait par ailleurs vécu une enfance et une adolescence éprouvantes, comme allaient rapidement le découvrir les gendarmes et la presse.
Animés par la volonté de disséquer cet environnement dans lequel se sont produits maltraitances infantiles et crimes de sang, Jean-Xavier de Lestrade et son co-scénariste Antoine Lacomblez restituent les faits avec
un souci de l’exhaustivité qui fait émerger une saisissante galerie de personnages : enquêteurs de la gendarmerie, assistante sociale, parents biologiques à l’existence fracassée, parents d’accueil aux sombres secrets, meurtrier diabolique et amis éplorés de la victime deviennent autant témoins qu’acteurs de la tragédie. Utilisant des procédés de fiction, comme les flashback, qui redonnent vie à la fragile Laëtitia, cette mini-série assume sa dimension de conte cruel, digne du Petit Chaperon rouge et autres mythes. La force de Laëtitia est ainsi de recréer un drame aux allures universelles tout en retranscrivant l’atmosphère précise et circonstanciée de la France de 2011, ses paysages hivernaux, sa structure sociale, ses journaux télévisés et ses polémiques politico-judiciaires (le président de la République Nicolas Sarkozy avait profité de l’affaire Laëtitia pour critiquer le laxisme des juges, déclenchant la colère
des magistrats locaux).
Figures toxiques
Ce tableau d’une société française en proie à la brutalité ordinaire n’est pas non plus sans évoquer une série comme Twin Peaks (elle-même inspirée d’un terrible meurtre commis en 1908). Histoire d’une jeune femme dont l’élan vital est coupé net par la sauvagerie humaine et par plusieurs figures masculines toxiques, Laëtitia s’applique à montrer, comme la série de David Lynch et Mark Frost, le difficile travail de deuil effectué par les personnes restées en vie qui se mettent à reconsidérer leur existence à l’aune de cette défunte qui hante leur mémoire. La grande différence étant bien sûr que la série de France 2 joue une carte beaucoup plus réaliste sans jamais recourir au fantastique ni à la fantaisie visuelle de Twin Peaks. Il n’en reste pas moins que, à l’instar de Laura Palmer, Laëtitia se retrouve victime d’une violence aux causes multiples, son corps ayant subi les assauts d’un monde aux dysfonctionnements profonds.
Réparer les vivants
Dans l'oeuvre de reconstruction et de réparation que propose la série, le personnage de la jumelle Jessica devient alors primordial. Jean-Xavier de Lestrade, qui a lui-même un frère jumeau, fait en effet de cette sœur survivante
à la fois le double et l’opposé de Laëtitia. Ayant elle-même subi des violences sexuelles, cette jumelle résiliente cristallise les différentes problématiques abordées avec pudeur mais ambition par ces six épisodes : les failles de l’autorité et de la protection de l’enfance, les mécanismes d’emprise, la question du consentement, la difficulté à faire entendre la parole des victimes, la tartufferie de certaines prises de position prétendument morales... Animée
par ces différents objectifs, Laëtitia réussit au bout du compte à appréhender l’idée de monstruosité (il faut saluer la glaçante performance de Noam Morgensztern dans le rôle de l’assassin) et à représenter l’horreur sociale. En continuant à considérer la fiction comme une manière privilégiée d’approcher la vérité humaine, cette mini-série fait acte d’espoir et laisse entrevoir dans ses derniers instants un horizon utopique où s’invite enfin la lumière.
Mettant en valeur un casting de vibrants seconds rôles (Sam Karmann, Yannick Choirat, Alix Poisson) et usant parfois de dialogues légèrement didactiques, Laëtitia fait honneur à la mémoire de son héroïne disparue et redonne dignité et épaisseur à des êtres qui risquaient de se voir sèchement engloutis par la banalisation médiatique des
faits divers.
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