Première
par François Grelet
Malgré les budgets délirants, les castings all-stars et, parfois, l’envie de bien faire, on n’y a jamais cru une seconde à leur village gaulois en carton-pâte, à leurs sangliers en images de synthèse approximatives et à leurs bastons sous potion façon Bud Spencer et Terence Hill. Obsédé par l’idée de rendre justice à la verve de Goscinny, chaque Astérix finissait par laisser complètement sur le bord de la route l’imagerie pop et speedée imaginée par Uderzo. Ayant opté pour une animation en CGI 3D dynamique et rutilante, Alexandre Astier et Louis Clichy (ex-animateur chez Pixar) ont contourné d’un coup le problème majeur des adaptations de la BD au cinéma en nous donnant justement l’impression qu’on regarde une adaptation d’Astérix et pas, au hasard, un épisode du "Plus Grand Cabaret du monde". Ici, en une scène, qui arrive juste après le générique, tout est au point : le design en rondeur des personnages, les vignettes péplum, le rendu paradisiaque de la forêt armoricaine, l’impression de vitesse supersonique dès qu’on s’envoie une rasade de potion… Bref, les deux superstars gauloises bougent enfin devant nos yeux. Et il aura donc fallu attendre 2014 pour concrétiser ce petit fantasme de cinéma. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’Astier s’est démené pour le script, prêtant allégeance à l'efficacité de l’histoire originale, aux running gags attendus ("Qui est gros ?") et aux vannes de Goscinny, tout en se fendant d’une vision particulièrement bien sentie du personnage d’Obélix. Constamment observé à travers les yeux d’un môme à la fois apeuré et fasciné, le ventru Gaulois prend une dimension mythologique, devenant soudainement un véritable enjeu de cinéma (quelque part entre Hercule, Superman et Winnie l’ourson), à peine esquissée dans l’oeuvre originale. C’est dans cette passionnante relecture d’un héros connu de tous que le boulot d’Astier trouve sa légitimité et que la commande (car c’en est une) prend une tournure hautement personnelle. De l’auteur de Kaamelott, on avait jusque-là retenu son aisance pour le verbe qui claque et la joute orale qui fait mouche – qu’on retrouve ici avec plaisir – mais surtout cette capacité à faire décoller la pastille comique vers des territoires inattendus, à la fois sensibles et épiques. Son "Domaine des Dieux" est fait de ce bois-là, zigzaguant entre cartoon trépidant, sitcom en braies, poussées mélo et purs moments d’héroïsme qui nous scotchent à notre fauteuil (ce climax, bon sang !). C’est à la fois un vrai film d’auteur et un bon morceau de cinéma populaire, et ça donne surtout l’impression qu’Astier et Clichy ont trouvé la recette de la potion magique. Suffisait juste de la demander à Obélix.