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Dans le nouveau film de Xavier Beauvois, il y a des hommes. Des hommes perdus, en proie avec leurs doutes, leurs engagements et leur foi. Des hommes de Dieu face à la violence du monde et à la peur. Revenant sur la tragédie de Tibhirine, le cinéaste propose un portrait contemplatif qui nous fait pénétrer dans l'intimité de ces moines. On pourra reprocher à Beauvois quelques longueurs et des passages chargés en symbolisme, chaque plan n'en demeure pas moins fascinant. On est envouté par ce récit mêlé de chants religieux et de prières. Si la religion vous provoque des crises d'urticaires, vous risquez de ne pas le supporter, mais ce serait vraiment rater une expérience de cinéma pas comme les autres.
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Sans verser, ni de près ni de loin, dans une bondieuserie qui aurait transformé son projet en une pesante apologie de la foi, le cinéaste tire de ces faits une parabole d’envergure quasi mythologique sur un sujet qu’il suffit d’évoquer pour qu’il devienne aussitôt essentiel : le choix de mourir pour une cause. (...) Il n’est cependant pas impossible que le traumatisme esthétique et spirituel qui nous laisse en bout de course dans un état proche de la sidération soit essentiellement dû à l’envol dramatique déployé dans le dernier tiers du film. Car,avant l’extraordinaire « duel » sonore entre le vrombissement d’un avion militaire et les chants qui s’élèvent du monastère en contrebas et, surtout, avant la séquence instantanément indélébile où les religieux prennent leur décision fatale tandis que se déchaînent les tempêtes lyriques du Lac des cygnes, l’orchestration des principaux enjeux peinait un peu à trouver ses marques. La faute à des personnages en forme de silhouettes (parmi lesquelles celle du médecin, auquel Michael Lonsdale prête un déchirant charisme), à un contexte parfois trop allusif et à un traitement un peu rapide de la menace qui pèse sur le pays. L’épiphanie est donc d’autant plus frappante qu’elle tarde à venir.
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(...) le film surprend, au sens où il défie les attentes. On pouvait imaginer un état des lieux du post-colonialisme, une évocation de la montée des intégrismes, une charge politique sur les dessous de la guerre. Or Xavier Beauvois nous emmène ailleurs, et signe un film en tous points admirable. Le film est tourné de leur point de vue, et partant, de celui d'un ordre cistercien qui privilégie le silence et la contemplation, mais aussi le travail de la terre, la communion par le chant, l'aide aux démunis, les soins prodigués aux malades, la fraternité avec les hommes. C'est de cette exigence spirituelle que le film veut rendre compte, de ce sentiment pascalien de la finitude de l'homme, de l'ouverture à autrui qu'il implique.
Sa lenteur, son dépouillement, sa fidélité au rituel de la communauté, la connivence partagée avec leurs frères musulmans, la beauté déconcertante du paysage (le monastère a été reconstitué au Maroc), sont pour beaucoup dans la réussite de cette ambition. La troupe d'acteurs, d'une remarquable justesse (parmi lesquels Lambert Wilson et Michael Lonsdale), donne corps à ces antihéros refusant de se rendre à la raison du monde tel qu'il est. -
Comme les plus grands cinéastes spiritualistes, de Dreyer à Bruno Dumont, Xavier Beauvois a su capter le temps de la contemplation et de la communion, conjugué à la beauté des paysages. Les scènes de chant liturgique, filmées avec une extraordinaire empathie, ou la séquence d'un lyrisme inattendu portée par Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, nous amènent à un degré d'incandescence spirituelle rarement atteint dans le cinéma contemporain.
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Universel et profond, son discours résonne longtemps après le générique de fin. Longtemps aussi, on garde en mémoire la force de ces moines écoutant La Mort du Cygne de Tchaïkovski : sans conteste l'une des séquences les plus saisissantes de l'année.
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Inspiré, Beauvois invente de très beaux moments de cinéma, comme l’affrontement par le jeu du montage entre le vacarme d’un hélicoptère et la sérénité habitée des chants religieux, ou la dissolution visuelle des moines dans la neige et le brouillard.
Mais la grande scène du film est un remake très humain de la Cène : le dernier repas des moines, musique grandiose et visages extatiques, pour aller au bout de leur périlleux destin dans la joie, fidèles jusqu’au bout à l’idée que ces hommes se font d’eux-mêmes et du sens de leur passage terrestre.
Personnellement rétif à toute idée sacrificielle, on n’aurait sans doute pas fait le même choix que ces moines : mais la beauté du film de Beauvois, et la grandeur des acteurs qui incarnent magnifiquement les religieux, c’est de nous questionner sur les notions de courage, d’héroïsme, de don de soi, de résistance, de solidarité, sur les convictions existentielles profondes de chacun (croyant ou non), nous rendant respectable et fascinant le parcours moral de personnages qui vont au bout d’eux-mêmes, quel qu’en soit le prix.
Superbe métaphore aussi de la condition d’artiste, superbe film où Beauvois applique la politique des hauteurs : celles de ses pères en cinéma. -
Xavier Beauvois a réussi une oeuvre spirituelle bouleversante qui prend appui sur une certaine idée de Dieu pour mieux nous mener au coeur de l'homme. Sans jamais laisser échapper une scène qui sentirait la reconstitution ou, pire, le téléfilm au gout de déjà-vu, ce drame historique touche à ce qu'ils y a de plus profond en nous, que nous soyons croyants ou athées.
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Des hommes et des dieux fascine moins par ce qu’il raconte que par la simplicité de son approche, son rythme lent et l’empathie qu’on éprouve à l’égard d’une communauté au mode de vie extrêmement différent du nôtre. «Au-delà de la religion, le film parle de l’homme», confirme Xavier Beauvois. Entre le jeu tout en sobriété des acteurs, le rythme lent et précis de la mise en scène, et le thème de l’engagement et du sens à donner à sa vie, Des hommes et des dieux s’élève au-delà du fait divers à connotation religieuse pour prendre un tour universel. C’est à cela qu’on reconnait les grands films, ceux qui, à Cannes, finissent auréolés d’un grand prix.
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Avec sensibilité, sobriété et justesse, Xavier Beauvois réussit un film universel, en prise directe avec l’actualité, où il aborde les thèmes de la tolérance, du courage, de la résistance et de la barbarie. Le metteur en scène, qui n’avait plus tourné depuis « le Petit Lieutenant », avec Nathalie Baye, a l’art, malgré une lenteur assumée, de nous captiver jusqu’au bout, grâce à des scènes plus fortes les unes que les autres, en particulier à l’intérieur du monastère.
Comme quand, à la fin du film, sur la musique du « Lac des cygnes » de Tchaïkovski, sa caméra balaie puis scrute les visages des moines qui passent de la joie à l’émotion, réalisant que leur mort approche. Bouleversant. -
Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, est de ces films pour lesquels on vient à Cannes : ceux qui excèdent les attentes, captivent de la première à la dernière seconde, résonnent profondément en nous. Il possède une forme de grâce, qu'on évitera soigneusement de rapprocher du sujet lui-même : la foi et le sacrifice en son nom... Film d'une simplicité biblique, donc (pardon...), porté par la qualité de son interprétation (en tête de liste, Lambert Wilson et Michael Lonsdale, comme toujours stupéfiant de naturel bonhomme), rythmé par les chants religieux. Xavier Beauvois trouve le ton juste : mise en scène apaisée, souvent frontale, qui adopte le regard bienveillant des personnages principaux, récit qui s'enrichit de petites anecdotes, à la fois dérisoires et parlantes. Bien sûr, ce sont deux types de foi qu'on oppose, l'une devenue pacifique, l'autre au nom de laquelle on tue et on torture. Mais, encore une fois, le film dépasse ces clivages pour s'interroger plus généralement sur le sens de la vie, dans le monde et hors du monde. Il traque l'humanisme plus que la dévotion : ce n’est pas parce qu'ils sont religieux que les membres de la petite communauté décident d'affronter le danger, mais parce qu'ils sont humains. C'est notre engagement à tous que leur geste interroge.
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Des hommes et des dieux, grand prix du jury de Cannes, est inspiré de la vie des moines français de Tibéhirine enlevés et assassinés en 1996, et Beauvois filme, avant la tragédie, leur vie sur cette terre musulmane juste avant que celle-ci soit mise à feu et à sang par le GIA. C'est à l'unisson que ces frères chrétiens chantent les psaumes sacrés, c'est ensemble qu'ils prendront la décision de rester malgré les menaces terroristes, lors d'une scène magnifique, sur un morceau du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Inoubliable.
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Réflexion intemporelle et universelle, cette oeuvre exigeante, contemplative et profondément émouvante, a reçu le Grand Prix au dernier Festival de Cannes.
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N'oublie pas que tu vas mourir pourrait être le sous-titre de Des hommes et des dieux. Sans rechercher la verve et la puissance romanesque de son deuxième long-métrage, dans lequel un jeune séropositif choisissait de vivre au mépris de sa maladie, Xavier Beauvois exprime au fond la même idée. Face à la certitude de la mort, l'accomplissement d'un homme est possible. Mais pour cela bien sûr, il faut du courage, de l'abnégation, bref, il vaut mieux avoir foi en la vie. Plutôt que l'esbroufe, la mise en scène joue une partition sobre, dépouillée. A la fois ample et tendu, ce film aux accents naturalistes bénéficie d'une interprétation pleine de tact et de retenue (superbe casting, notamment Michael Lonsdale et Lambert Wilson), à l'instar de la photo subtile de Caroline Champetier, tour à tour matinale et crépusculaire.
Forçant parfois un peu ses intentions, notamment dans un dernier tiers métaphysique plus maladroit (allusion lourde à la Cène, paysage forcément enneigé pour dire la mort), Beauvois ne signe certes pas son chef d'œuvre avec Des dieux et des hommes, mais un film humble, réflexif, donnant richesse et humanité à un sujet casse-gueule au possible. -
Si son film tient grâce à ses fulgurances plastiques - des plans d'extérieur beaux comme ceux d'un western éliagique -, il échoue dans sa quête de frisson mystique et dans sa volonté de toucher du doigt l'introspection méditative de ses héros. Faute d'instinct, de tension, de spontanéité stylistique, le psaume halluciné vire à la liturgie crevante.
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Si la palme du film consensuel existait, ce beau huis-clos dramatique l’emporterait haut la main. Xavier Beauvois, que l’on savait subtil et efficace depuis Le petit lieutenant, a le mérite de ne pas s’enfermer dans le piège du scénario « inspiré d’une histoire vraie » et préfère proposer une vision d’artiste revisitant un événement médiatisé en son temps, à l’instar de la démarche d’un Téchiné dans La fille du RER. Comme dans l’excellent Hors la loi, Des dieux et des hommes se situe en Algérie et filme la détermination d’un petit groupe social à aller jusqu’au bout de ses convictions et valeurs morales. Mais quand Rachid Bouchareb préfère le lyrisme et la chronique engagée, Xavier Beauvois opte pour la chronique semi-documentaire déviant progressivement vers la tragédie. La première partie excelle à peindre un microcosme communautaire ouvert à son environnement : une brève discussion sur le sentiment amoureux entre un moine et une jeune algérienne (délicate Sabrina Ouazani), des conseils médicaux prodigués par le frère Luc (prodigieux Michael Lonsdale) sont autant de tranches de vie filmées, dont la sérénité contraste avec les avertissements récurrents du danger. Quand celui-ci survient, le cinéaste concentre sa caméra sur ces huit hommes, leurs craintes, divergences et solidarités. On songe à la version filmée du Dialogue des Carmélites de Bernanos, non seulement par la similitude des personnages et situations, mais aussi par la place accordée au verbe dans la montée de la tension dramatique. On regrettera toutefois la tentation d’un symbolisme religieux un brin pesant (la scène du dernier repas partagé), qui contraste étrangement avec la sobriété de l’ensemble et menace un bref instant l’œuvre de glisser du classicisme vers l’académisme.