Première
par Christophe Narbonne
Remarqué lors du dernier Festival de Cannes (il était présenté à l’ACID), le premier long métrage de Chloé Mahieu et Lila Pinell, issues du documentaire, surfe sur la mode du docufiction. On y suit les mésaventures de Sarah, jeune patineuse confrontée à l’exigence de la compétition, à la découverte de la sexualité et aux querelles familiales. Les deux réalisatrices s’amusent à pervertir les codes narratifs, comme dans cette scène post-générique de début qui montre en plan-séquence fixe une jeune fille et sa mère dialoguer avec l’entraîneur de la première. D’un réalisme saisissant et désarmant (il est question d’une blessure irréversible pour l’apprentie patineuse), elle introduit l’idée que nous sommes face à un documentaire sur le sport de haut niveau, avec ses éducateurs impitoyables et ses parents déboussolés. On se trompe d’autant plus qu’il n’y a pas Vincent Lindon pour nous avertir que Kiss & Cry est une pure fiction, jouée par des amateurs et quelques pros méconnus comme Dinara Droukarova. Plus le film avance, plus l’évidence de la fiction se fait jour. En ciblant le propos sur la jeune Sarah, dont la famille a déménagé à Colmar pour lui permettre d’intégrer un club émérite, Mahieu et Pinell développent plusieurs problématiques que la fiction permet de rendre plus “attractives” : la pression maternelle qui s’exerce sur Sarah, son intérêt grandissant pour les garçons, ses démêlés avec ses copines, sa relation conflictuelle avec le coach… De réaliste la mise en scène devient atmosphérique avec des ralentis, des surimpressions sur fond de musique electro un peu planante qui traduisent le désarroi intérieur de l’héroïne. Kiss & Cry est un teen movie atypique, mal aimable qui capte avec une vérité rare la transition vers l’âge adulte avec son cortège de malentendus, de violence, d’hystérie et d’acceptation.