- Fluctuat
Tout commence par une cérémonie de mariage, la reprise d'un bonheur relationnel. Deux personnages charismatiques à l'identité incertaine et aux noms singuliers se réunissent pour le malheur des autres et le plaisir de madame.
Mika Muller (Isabelle Huppert), élégante, trouble, invraisemblable, responsable et manipulatrice est la dirigeante d'une entreprise de chocolat. Elle vient de la DDASS. Elle est en constante recherche de bonheur et d'amour conjugal. André Polonski (Jacques Dutronc), virtuose du piano, discret, adroit et complétement en-dehors de la société... un peu à la manière du cinéaste Abraham Polonski, oublié à cause de la célèbre liste noire. Ils vivent avec Guillaume, résultat du premier mariage d'André. Etudiant étrange et insolite, le ton de sa voix est le reflet exact de sa nonchalance naturelle. Il ne vit pas, il subit tous les évènements qui lui tombent dessus. Enfin, entre en jeu une quatrième personne, une sorte de remue-ménage vivant, un cataclysme étourdissant qui va réveiller certaines rancoeurs, certains désirs et surtout certaines envies meurtrières. Elle se prénomme Jeanne Pollet.J'ai pris le temps de présenter ce cercle rouge afin de mieux cerner les raisons qui ont poussé l'intrigante Mika à agir de la sorte. Le dernier film du sieur Chabrol (52e ) est une énorme toile endiamantée que l'araignée Huppert a tissé pour mieux contrôler ses victimes.
Cette mise en propos résulte d'un état du cinéma français qui se distingue en trois points importants : un élément " espace ", un élément "rythme" et un élément "humain". « concilier les trois, c'est-à-dire faire se déplacer des gens dans l'espace, selon un rythme déterminé, de telle façon que cela souligne leur humanité. Si on y arrive, c'est bien mis en scène, si on n'y arrive pas, c'est moins bien mis en scène. Il n'y a aucun rapport avec la vitesse des travellings et les focales » (Claude Chabrol). A l'instar d'un Godard qui se sert du cinéma pour créer des films, l'auteur de La Cérémonie sert le cinéma.
Il crée des histoires qui n'ont aucun rapport avec sa propre vie (sauf Rien ne va plus) et par conséquent enveloppe ses personnages dans une spirale sans fin qui les conduit vers une fatalité élégiaque.Dans Merci pour le chocolat, Chabrol adopte un point de vue cinématographique en deçà de la mise en propos habituel dont se servent les cinéastes actuels pour le polar. Chabrol laisse planer - sans cesse - un doute, des idées qu'on n'a du mal à croire tant elles sont invraisemblables et dénuées de logique. Effectivement, le personnage interprété (royalement !) par Huppert est un mélange entre Ellen Berent de Péché mortel (John Stahl, 1946) et Regina Giddens de La Vipère (William Wyler, 1941). Une sorte de femme dont le calme olympien cache une noirceur âpre et sans concession. Il faut voir son regard hypnotisant, ses gestes élancés qui trahissent une maîtrise de l'espace et surtout sa tendresse vis-à-vis de ceux qu'elle aime. Mika n'est pas ambiguë, elle est tout simplement incomplète dans le sens où elle n'a jamais appris à différencier le Bien du Mal. Elle agit et ne semble pas tirer de conclusion de ses différents gestes et de ses nombreuses décisions. Elle ne prend jamais de recul dans sa vie. Elle crée du mal tout en pensant que c'est pour le bien des autres. Elle manipule mais ne pourra jamais définir le sens de ce mot tout comme elle ne pourra jamais comprendre les raisons qui ont poussé la jeune et jolie Jeanne à s'intéresser à André Polonski (qu'elle crût un moment être son père).Cette filiation démesurée, thème chabrolien par excellence (Les Cousins, 1958 - La Rupture, 1970 - Violette Nozière, 1978) est une manière comme une autre de pousser le bouchon très loin et de faire bouger les choses. Merci pour le chocolat n'est pas qu'un simple exercice de style, c'est une leçon de cinéma.Merci pour le chocolat
De Claude Chabrol
Avec Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Anna Mouglalis
France / Suisse, 2000, 1h39.
- Lire la chronique de La demoiselle d'honneur (2004).
- Lire la chronique de La fleur du mal (2003).