En 1999, trois étudiants se sont paumés dans les bois. 17 ans plus tard, on a retrouvé leur film.
Le nouveau Blair Witch qui sort aujourd'hui en salles est à la fois suite et remake du Projet Blair Witch de 1999. Dix-sept ans plus tard, que reste-t-il de ce petit film d'horreur tourné pour le prix d'une (grosse) voiture neuve ?
Légende urbaine
Janvier 1999. Deux jeunes réalisateurs, Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, distribuent des prospectus dans la rue de Park City (Utah) pleine de neige boueuse qui demandent des informations sur trois étudiants en cinéma qui ont disparu dans les bois en tournant un documentaire sur la légende d'une sorcière. Nous sommes au Festival de Sundance, la Mecque du ciné indé et Daniel et Eduardo vendent en fait leur petit film comme un vrai fait divers : Le Projet Blair Witch. Qui est une sorte de Graal : un petit film d'horreur bricolé avec trois francs six sous (on comptait encore en francs à l'époque) autour d'une idée de marketing cinéma très forte. Faire passer le film pour un vrai film. Un mélange de faux documentaire comme Spinal Tap en 1984 sur un groupe de metal (qui aurait paraît-il trompé quelques personnes) et des mondo movies voyeuristes dont l'apogée est Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (où l'on retrouve le film d'une bande de cinéastes mangés par une tribu de sauvages). Daniel et Eduardo, inspirés par les documentaires sur le paranormal, tournent le film en huit jours pour 60 000 dollars. Et montent un site web qui élabore l'histoire de la disparition des acteurs et celle de la sorcière de Blair, entre légende urbaine et mythologie lovecraftienne, autour de l'angoisse toute bête d'être perdu dans les bois. Ca marche. Au-delà de toute espérance. Le Projet Blair Witch sera le premier carton du marketing viral de l'ère Internet. Aux Etats-Unis, le film rafle 140,5 millions de dollars et c'est le dixième plus gros succès de l'année 1999, celle de La Menace fantôme, Matrix et Sixième sens. Total mondial : 248,6 millions. Le marketing viral qui n'a pas atteint la France où le film se contente d'un excellent accueil critique -et d'une citation flatteuse des Inrocks sur l'affiche où Blair Witch est comparé à Shining en termes de trouille. Peu distribué (120 copies), il terminera à 810 359 entrées. Un joli score mais pas un raz-de-marée, le public étant surtout désarçonné par l'usage de la caméra à l'épaule (une critique déjà formulée autour des films du Dogme comme Festen).
Scary Movie
Le carton mondial du film imposait une suite. Mais les Sanchez et Myrick n'étaient pas prêts à embrayer aussi vite, et le studio Artisan lança la production sans eux. Pour le réaliser, le studio a l'idée d'engager Joe Berlinger, auteur d'un fameux documentaire, Paradise Lost, sur les meurtres de trois adolescents par trois jeunes satanistes. Sorti en octobre 2000, Le Livre des ombres :Blair Witch 2 abandonne complètement le found footage au profit d'un style slasher qui dialogue de façon amusante avec le premier film, un peu à la façon de la série Scream, modèle de toute la production horrifique de la fin des années 90 (Souviens-toi... l'été dernier, Urban Legend). Produit pour 15 millions, le film ne rapporte que 26 millions aux Etats-Unis malgré une sortie à Halloween. Scream 3 en rapportera 89 millions en février de la même année, tandis qu'une nouvelle sortie du director's cut de L'Exorciste triomphe en salles. Mais en juillet 2000, c'est Scary Movie, la parodie de Scream signée des frères Wayans ("Scary Movie" est d'ailleurs le titre original du script de Scream par Kevin Williamson), qui est un véritable carton avec 157 millions de recettes (autant que le premier X-Men). Et qui contient une fameuse parodie de la scène de la confession en gros plan de Blair Witch. Film moqué, dépassé. Dès 2000, il fallait déjà passer à autre chose.
Directement en vidéo
Les réalisateurs ne sont pas vraiment parvenus à passer à autre chose. Ils sont restés coincés dans l'horreur à petit budget et à destination du marché direct-to-video. Daniel Myrick réalisera le bizarre DTV Believers (2007) sur deux ambulanciers capturés par une secte d'illuminés, Solstice (2008) sur une jeune fille hantée par le fantôme de sa sœur jumelle suicidée, et enfin un film en found footage, The Objective (Ultimate Patrol en VF et en DTV) sur des militaires partis dans un "triangle des Bermudes" dans le Moyen-Orient. En 2014, il a réalisé Under the Bed où un pervers se cache sous le lit d'une femme mais le film n'est jamais sorti. Sánchez s'est à peine mieux débrouillé : le huis clos Altered - Les Survivants (DTV, 2006), le found footage Septième lune (DTV, 2008) avec May Smart poursuivie par un démon en Chine, le found footage parodique ParAbnormal (sorti à la sauvette en 2009) sur une bande d'ados chasseurs de fantômes, le film de maison hantée Lovely Molly (2011, sorti en DTV chez nous en 2013). Et un segment de l'anthologie horrifique V/H/S/2 en 2013 qui s'est révélé crucial (nous y reviendrons), le found footage Exists (2014) sur des campeurs traqués par un Bigfoot. Eduardo a aussi signé le cinquième épisode de la saison 3 de la série télé Une nuit en enfer qui passera en octobre prochain.
Activité normale
Si la carrière de Myrick et Sánchez n'a pas décollé, quid du style found footage ? Abandonné par Blair Witch dès son numéro deux, il a fallu attendre l'ère des smartphones et de YouTube -avec la démocratisation totale des caméras- pour devenir une des normes du cinéma d'horreur fauché. C'est Cloverfield en 2008 qui rééditera le combo fatal marketing viral/found footage. Produit par J.J. Abrams, à l'époque pas encore à la tête des résurrections de Star Trek et Star Wars mais estampillé mastermind des énigmes de la série Lost, Cloverfield est (en gros) Godzilla en found footage qui a réussi à être vendu sur le mystère de son sujet. Mais c'est Paranormal Activity en septembre 2009 -où un homme filme des phénomènes surnaturels la nuit dans sa maison- qui accomplira ce que Blair Witch n'avait pas réussi à faire. Créer un modèle économique, plus qu'un style. C'est le producteur Jason Blum qui réussit à s'en emparer autour d'une idée simple : tourner des films d'horreur pour 5 millions de dollars maximum à destination des ados. Rien de révolutionnaire là-dedans. Le réalisateur Oren Peli avait tourné son film en 2007 : repéré par Jason Blum, le film fut acquis par DreamWorks (alors division de Paramount) qui voulait que Peli en fasse un remake à plus gros budget. Peli et Blum acceptèrent mais pas avant de tester le film en public. Des spectateurs quittèrent la salle, terrifiés, et le studio sentit qu'il tenait un hit en puissance. De fait, le succès de Paranormal Activity tient à son mode de diffusion : Paramount sort initialement le film sur douze copies et demande au public de réclamer sur Internet la diffusion du film dans leur ville. Le buzz aidant (on parle du film comme du "nouveau Blair Witch", évidemment), Paranormal Activity termine sa carrière à 107,9 millions. Pour 16 000 dollars de budget. Stakhanoviste éclectique mis en orbite par Paranormal Activity, Blum produit aussi bien Whiplash et Des hommes sans loi que Sinister et American Nightmare, très rentables selon sa formule. Les clones de Paranormal Activity seront nombreux (citons Le Dernier exorcisme en 2010 et Devil Inside en 2012), et il engendrera six suites, de moins en moins rentables en salles. Jusqu'à Paranormal Activity 5 : Ghost Dimenstion (en fait le septième film, mais le décompte français ne prend pas en compte ni le spin off latino Paranormal Activity : The Marked Ones ni le Japonais Tokyo Night), qui mélange found footage et relief, bien que les deux techniques ne s'accordent pas techniquement. Résultat : 18 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis pour 10 millions de budget. Le nadir de la série, qui est désormais au point mort chez Paramount.
Promenons-nous dans les bois
Janvier 2015, Sánchez annonce qu'un Blair Witch 3 est inévitable. L'annonce passe inaperçue, dans une époque où on ne compte plus les projets de reboots et de remakes de classiques coincés dans le development hell (Halloween, The Crow, Saw...). Entre Adam Wingard. A 33 ans, le réalisateur a déjà signé le rigolo et bien sanglant You're Next (un home invasion inversé) et le film d'action The Guest qui transforme Dan Stevens (Downton Abbey) en machine à tuer sexy. En avril 2015, il tourne son nouveau film The Woods, qui n'est jusqu'ici qu'un film façon Projet Blair Witch : des ados se font bouffer dans les bois par une saloperie. En mai, un premier trailer terrassant (au son d'une reprise d'"Every Breath You Take" de The Police) promettait de l'horreur survival bien crade à la The Descent mais pas vraiment un found footage. Encore moins une suite du Projet Blair Witch. Le site Bloody Disgusting, qui a eu la chance de voir le film avant tout le monde, promettait même "la renaissance du cinéma d'horreur". Et le 22 juillet, surprise : en plein Comic Con, Lionsgate dévoile grâce à un nouveau trailer que The Woods s'appelle en réalité Blair Witch et qu'il s'agit d'une suite directe du Projet Blair Witch de 1999. Produit par les studios Room 101 et Lionsgate, déjà à l'origine de la franchise Paranormal Activity, The Woods n'a pas été arrangé en post-production pour le transformer en Blair Witch à la hâte : Wingard avait croisé Sánchez à Sundance en 2013 lors de la promo du film à sketches d'horreur V/H/S/2, sur lequel ils ont travaillé, et ont commencé à papoter de l'opportunité d'une résurrection de Blair Witch. Lionsgate n'a donc pas joué la promo virale mais l'attaque surprise. Ca n'a pas marché. Sorti le 16 septembre aux Etats-Unis sur plus de 3 000 copies, Blair Witch n'a pas pu battre Sully avec Tom Hanks et n'a rapporté que 10 millions en dix jours. Par rapport à son budget de 5 millions, ce n'est pas un flop abyssal mais Blair Witch n'a pas su créer l'événement, à la différence de Don't Breathe - La Maison des ténèbres, huis clos étouffant signé Fede Alvarez (le remake d'Evil Dead), carton horrifique surprise de la fin de l'été (75,8 millions de dollars de recettes américaines pour 10 de budget). Le film, suite directe du premier film, dix-sept ans plus tard, ne fait que copier-coller l'original en l'assaisonnant de tous les travers du style found footage -beaucoup trop d'effets de cinéma classiques (jump scares, musique d'ambiance) au service d'un. Alors que l'horreur grand public américaine se fait au rythme de Jason Blum (American Nightmare 3 : Elections et Conjuring 2 ont été de gros succès) et qu'un petit génie comme Wingard vient de se casser les dents sur ce remake/suite, on peut affirmer que la légende de la sorcière de Blair a bel et bien vécu.
Bande-annonce de Blair Witch, en salles le 21 septembre :
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