Votre père était prof de littérature, votre mère danseuse. Vos parents ont-ils influencé votre carrière ?Surtout mon père : sa connaissance de l’art, des livres et du cinéma. Il a toujours stimulé mon imagination, en me montrant des grands films comme Juliette des esprits, Nosferatu avec Max Schreck dès mon plus jeune âge (j'en ai fait des cauchemars). Quand mon père me passait un livre, il me disait de faire comme si j'enquêtais dans le livre, j'interrogeais les personnages, il me faisait écrire le « chapitre manquant » du roman… J’ai dû faire cet exercice sur Siddharta d’Herman Hesse - son roman préféré -, Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley… Il ne le savait pas mais ça allait beaucoup me servir en tant qu’acteur. Ma mère de son côté a réalisé un court-métrage où elle dansait au son d’une musique classique, utilisée par Kubrick dans Shining (NDLR : Béla Bartok), comme si elle était en enfer… Et ça m’a terrifié quand j’étais enfant. En fait mes deux parents m'ont transmis un héritage artistique un peu flippant.Je crois que ce sont les expériences terrifiantes de la jeunesse qui vous forment en tant qu’artiste. Walt Disney l’avait bien compris : regardez comment il terrifiait les gamins avec ce qui est arrivé à la mère de Bambi, ou avec la sorcière de Blanche-neige.Il y beaucoup de légendes sur vous. Vous avez mangé un cafard pour Embrasse-moi, vampire, vous avez utilisé le chamanisme sur Ghost Rider : L’Esprit de vengeance, vous avez lancé la carrière de Johnny Depp…Oui. Tout est vrai. Regardez Vampire, le cafard est 100% authentique. Johnny était un ami guitariste à Los Angeles, je lui ai dit « pourquoi tu ne deviens pas acteur ? ». Il m’a dit qu’il ne pouvait pas, je lui ai dit d’appeler mon agent. Le reste… Pour le chamanisme, j’ai utilisé un bouquin, Way of the Actor : A Path to Knowledge & Power de Brian Bates, qui explique que les acteurs sont les chamans d’aujourd’hui. Dans les temps anciens, ils allaient de village en village pour s’envoler sur les ailes de l’imagination, recréer des scènes pour obtenir des réponses. Les acteurs font ça de nos jours. L’imagination est la plus grande qualité d’un acteur : on ne peut pas jouer un rôle sans croire qu’on l’est.Dans Joe, il paraît que vous montrez vos vrais tatouages.(il se braque) C’est personnel, ça.OK, mais ça montre que vous tentez quelque chose sur ce film : être vrai, non ?Je ne parle pas des tatouages - c’est vrai que cette performance était différente. Si tu regardes ma filmo des dernières années, je faisais des trucs baroques-pop-opéra façon Ghost Rider. Sur Joe, je n’ai pas fait ça. J’ai essayé de moins réfléchir à ce que je faisais.D’autres rôles où vous étiez plus naturel ?Même dans mes rôles les plus « composés », je mettais toujours de l'émotion. Tous mes personnages sont moi, à des degrés divers.Quand on voit votre filmo, on se demande comment vous choisissez un rôle…A la lecture du script, je sais tout de suite si je peux apporter quelque chose d’émotionnel. Ensuite il y a l’attrait de la nouveauté : est-ce que le rôle m’apprend quelque chose, m’emmène dans de nouveaux territoires ? Enfin, c’est le réalisateur. Je dois bosser avec quelqu’un de sincère. Plus ça va et plus je réalise que l’important ce n’est pas le jeu d’acteur mais bien la réalisation. Quand j’ai fait Joe, j’étais en train de prendre une année sabbatique, j’attends le combo bon réal/bon scénar. Il faut que le film fonctionne comme un tout, car aujourd’hui les critiques sont systématiquement négatives.Vous croyez que les critiques font le succès ou l’échec d’un film ?En fait, non. Le public est plus intelligent que ça. Ceci dit, quand les critiques tapent sur un film, c’est souvent parce qu’il ne marche pas. Ou parce qu’il est trop bon et que ça les fait chier.Justement : comment vous gérez le fait que certains de vos films se sont fait lyncher ?Les critiques se sont déchaînés sur Wicker Man par exemple. Je l’adore. Pour moi c’est un film électro-magnétique. Il attire et il révulse. Mais il a supporté l’épreuve du temps, et il a marqué le public. Il a énervé certaines personnes, et c’est devenu un phénomène sur Internet. Pour le meilleur et pour le pire. Ca m’a permis de rester connecté avec la jeune génération. Je ne serais peut être pas là en train de vous parler si je n’avais pas ce film. Tu vois, on en parle encore aujourd’hui, sept ans après sa sortie… « Not the bees ! » est devenu ma réplique la plus célèbre.Lequel de vos films est le plus sous-estimé, d’après vous ?A tombeau ouvert. Il aurait mérité un marketing plus clair, on ne savait pas à l’époque s’il s’agissait d’un film d’action ou bien d’une oeuvre d’art de Martin Scorsese. Je crois que c’est l’un des meilleurs films que j’ai fait. C’était un film de festival, qui méritait une sortie plus modeste. Comme Joe.Vous pensez que vous êtes déjà allé trop loin pour un rôle ?Non. Je n’ai pas de regrets. Quand les critiques disent que je suis over the top, je réponds « dites-moi où est le top ». En plus pour eux c’est synonyme de « hors de contrôle ». Pourtant tout ce que j’ai fait est sous contrôle. Parfois je me suis dit que j’allais dépasser les bornes, mais je ne voulais pas rester coincé dans un style, que ce soit du cinéma vérité (NDLR : en français dans l’interview) ou du naturalisme. Dans Joe je donne une performance plus calme. Pour montrer que je sais aussi faire ça.Vous ne jouez pas souvent le père ou le sensei. Plutôt le solitaire, le taré…Je crois aux archétypes. Il y a du Joe dans chacun. J’ai rencontré des femmes qui me faisaient penser à lui.Vous avez failli jouer Superman pour Tim Burton…(Il réagit vivement) Ca ne s’est jamais fait… C’est dingue, ça. Un film que je ne fais pas et on m’en parle encore ! C’est une histoire fascinante, ok, mais ce qui est fascinant c’est que je parle plus de Wicker Man ou de Superman que des films que j’ai faits.Vous comprenez quand même pourquoi on adore cette idée de vous en Superman. Vous vouliez faire quoi avec le rôle ?Insister sur le coté solitaire de Clark Kent, de rejeté de la société. Montrer qu’être un héros c’est un défaut, que le désir d’être aimé vient qu’on se sent comme un étranger dans le monde. On en revient à mon père, en fait. A la famille. Au fait que je sois le seul avec les yeux bleus dans une famille d'yeux bruns.Vous avez dirigé James Franco avant qu’il ne devienne hype dans Sonny (2002), votre premier et unique film en tant que réalisateur.Je crois qu’il s’agit d’un des meilleurs rôles de James. Il s’est y mis à poil émotionnellement. C’est fou ce qu'il est beau. Quand il est venu dans mon bureau, j’ai demandé à des femmes quel acteur elles paieraient pour coucher avec. Elles m’ont toutes dit James. Je me suis dit bingo, on a notre acteur pour jouer le gigolo.Vous avez toujours envie de réaliser ?Bien sûr. Il faut que je trouve le bon film. J’espère le faire dans les deux-trois prochaines années. Je veux faire un drame familial. Avec des gens ordinaires. Un film audacieux, dramatique, avec des tripes, qui explore le côté obscur de la famille. Vous vous rappelez Festen ? Grand film. C’est ce genre de film que je veux faire.Hollywood a toujours des tripes ?Oui, je crois. Les films de Paul Thomas Anderson ont des tripes.Oui, mais ce sont des films difficiles à faire, à produire et à distribuer…Je ne m’y connais plus dans ce domaine depuis que j’ai arrêté la production de films. Mon studio Saturn Films voulait produire des films que les studios ne voulaient pas faire.Si vous n’aviez pas été acteur…J’avais une idée hyper précise en tête. J’allais à une audition, et j’en avais marre de me faire rejeter. Les directeurs de casting n’y connaissaient rien du tout au métier d’acteur, je me faisais dégager de partout. Je commençais à me sentir physiquement mal. Tous mes potes dans le cinéma avant un plan B : se barrer en Alaska pour travailler sur des bateaux de pêche. Ils partaient en camionnettes et revenaient dans des super bagnoles, des Cameros ou des Corvettes, avec 25 000 dollars en poche. Etre pêcheur était très bien payé. Comme mon père avait éveillé mon intérêt pour Melville et Conrad, je me suis dit que j’allais vivre en mer, dans la marine marchande. Et écrire mes aventures maritimes. Je crois que j’aurais été plutôt bon. Mais ma chance a tourné et j’ai commencé à travailler en tant qu’acteur. Je ne dis pas que j’aurais écrit le nouveau Loup des mers ou Moby Dick, mais qui sait ?Interview Sylvestre PicardJoe de David Gordon Green, avec Nicolas Cage, Tye Sheridan et Adriene Mishler sort aujourd'hui dans les salles :
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