Saint Laurent versus Yves Saint Laurent : qui est le meilleur ?

La guerre d'YSL

Les nominations aux César 2015 viennent de tomber, et deux films dominent : les deux biopics sur Yves Saint Laurent qui sont sortis en 2014. Yves Saint Laurent de Jalil Lespert et Saint Laurent de Bertrand Bonello. Il est inévitable de faire la comparaison entre les deux films, produits en parallèle et qui auraient pu s'annihiler mutuellement. Après une guerre de production larvée (dont on vous raconte les dessous ici) entre les deux projets, il est temps de compter les points.>>>Découvrez les nommés aux César 2015

Yves Saint Laurent

Pour le rôle-titre, le choix est difficile. Très difficile. Deux perfs dingues de chaque côté. Deux visions. Dans le film de Lespert, Pierre Niney joue la carte du mimétisme absolu. Le jeune beau gosse foufou de Comme des frères et 20 ans d'écart se soumet totalement au personnage d'YSL version juvénile, qui colle au projet du film d'être clean et lisible, aimable et empathique. La version Bonello est déformée dans les reflets des miroirs qui squattent sans cesse le champ, et brisée en une multitude de facettes (Gaspard Ulliel en barbu 70's ou en partouzeur camé, YSL vieux par Helmut Berger, etc). On préfère le Yves de Bonello mais on admire le boulot de Niney. Le César du Meilleur acteur l'an prochain ?Vainqueur : Pierre Niney

Betty Catroux

Second rôle essentiel chez Bonello, le mannequin/muse Betty Catroux (Aymeline Valade) apparaît au son de I Put A Spell on You entourée des miroirs de chez Régine. Chez Lespert, jouée par Marie de Villepin, elle passe inaperçue - le film après tout se concentre côté féminin sur le mannequin mécène Victoire Doutreleau (Charlotte Le Bon), personnage très important.Vainqueur : Aymeline Valade

Loulou de la Falaise

Même remarque que pour Betty à l'entrée précédente. Dans le film de Lespert, le mannequin/muse Loulou de la Falaise, jouée par Laura Smet, a surtout un job d'arrière-plan. Dans le Bonello, elle est un second rôle mais extrêmement présente (elle aide YSL à donner un style à une cliente jouée par Valeria Bruni-Tedeschi, elle choisit les mannequins pour le défilé final, elle inspire le couturier par son style libéré). Et Léa Seydoux, formidable de retenue, est fantastique.Vainqueur : Léa Seydoux

Pierre Bergé

Dans le Bonello, le compagnon d'YSL est joué par Jérémie Renier. En version businessman implacable et amoureux fou de son Yves pour lequel il est prêt à tout. Mais reste dans l'ombre, à travers quelques séquences essentielles (la négociation en anglais/français traduite en temps réel, gros moment de cinoche). Le film de Lespert aurait pu s'appeler Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, tant la version Guillaume Gallienne - tout aussi mimétique et emphatique que Niney - est présente du début jusqu'à la fin - c'est d'ailleurs sa voix off qui commente le film. C'est non seulement la marque de Bergé sur le biopic de Lespert, mais aussi celle de Gallienne sur le cinéma français, l'année du triomphe aux César des Garçons et Guillaume, à table ! Encore un trophée pour Guillaume l'an prochain ?Vainqueur : Guillaume Gallienne

La musique

Il n'y a pas photo. Le Lespert utilise une partition originale pantouflarde signée Ibrahim Maalouf, plus des chansons d'arrière-plan utilisés de façon assez illustrative (Chromatics, The Emotions, The Chamber Brothers). Alors que la playlist du Bonello est démente. Tubes northern soul qui surexcitent les scènes de club (The Metros, Luther Ingram), Venus in Furs du Velvet Underground qui illustre la scène de la lecture d'une lettre d'Andy Warhol, plus la Passion selon Saint Matthieu, l'Ave Maria de Schubert, Madame Butterfly, et le Cold Song de Purcell... A chaque fois, chaque morceau est placé brillamment pour expliciter le sens de la scène. Le tout avec des compos originales électro-pop de Bonello himself appelées à devenir cultes (l'imparable La Mort de Moujik).Vainqueur : Saint Laurent

Jacques de Bascher

Là, c'est difficile de trancher net pour savoir qui est le meilleur Jacques de Bascher de Beaumarchais, amant d'YSL et camé notoire mort du SIDA en 1989. Chez Lespert, Xavier Lafitte le joue -très bien- sale gosse insolent et torturé. Chez Bonello, Jacques est "un gentleman de la République de Weimar", complètement décadent, qui organise des partouzes de gendarmes chez lui - et le meuble phare de son appart est un fauteuil de gynécologue. Louis Garrel, oeil torve, air twisted, moustache proustienne, ressemble à un fauve malade. Lafitte ou Garrel : deux très belles compositions, et comme on aime la décadence totale on choisit Louis.Vainqueur : Louis Garrel

Les défilés

Un film sur Yves Saint Laurent sans couture c'est un peu comme un péplum sans combat de gladiateur. C'est possible, c'est un choix, mais ça serait un peu décevant. De ce point de vue-là, les deux films mettent en scène des défilés. Dans le Yves Saint Laurent de Lespert, tout est classique et sage, et le film s'achève sur le triomphe de la collection "Ballets russes" de 1974, aboutissement logique de la liberté artistique revendiquée par le couturier. Dans le Saint Laurent de Bonello, un premier défilé est monté en split screen avec des bandes d'actualité des événements de 1968 (le Quartier latin, Che Guevara, les Black Panthers...). Un autre est shooté dans le silence total, bientôt brisé par les cris d'admiration du public. Et enfin le défilé final "Ballets russes", au son de la Passion selon Saint Matthieu de Bach, est découpé à l'écran comme une toile de Mondrian... Seulement trois défilés mais chacun mis en scène très différemment avec des buts et des moyens spécifiques. Le parallèle actu/mode, le choc de la rupture provoquée par YSL et enfin sa "collection de peintre" de 74.Vainqueur : Saint Laurent

La réalisation

En deux films -l'arty 24 mesures et le drame Des vents contraires avec Benoît Magimel- Jalil Lespert a amplement fait ses preuves de réalisateur. Et son Yves Saint Laurent est très propre, bien filmé, bien écrit, bien dirigé, bien joué... Mais du point de vue du cinéma pur, le Saint Laurent de Bonello enterre le YSL premier à être sorti en salles. Construction d'une ampleur dingue, scènes de night club bluffantes (pour l'anecdote la fidèle chef op de Bonello Josée Deshaies a éclairé Des vents contraires), passages psychédéliques, émotion pure, réflexion vertigineuse sur la mort et l'art, autopsie du monstre YSL -comme on tentait de l'expliquer à chaud dans notre critique cannoise (?lisible ici?), Saint Laurent est magistral.Vainqueur : Saint Laurent

César 2015

Aux César 2015, Yves Saint Laurent et Saint Laurent s?affronteront dans cinq catégories : Meilleurs costumes, Meilleurs décors, Meilleure photo, Meilleur acteur (Pierre Niney VS Gaspard Ulliel), Meilleur acteur dans un second rôle (Guillaume Gallienne VS Louis Garrel VS Jérémie Renier). Le film de Lespert a été aussi nommé en Meilleure musique originale (Ibrahim Maalouf) et Meilleure actrice dans un second rôle (Charlotte Le Bon). Le film de Bonello reçoit quatre nominations supplémentaires, Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur montage et Meilleur son. En tout, le Lespert a été nommé sept fois et le Bonello dix fois, de quoi dominer la compétition mais le triomphe surprise de La Famille Bélier (5 millions d?entrées et six nominations) brouille la donne. Le match des couturiers aura surtout lieu sur les trophées des acteurs. Quel YSL sera adoubé par l?Académie ? Remarquons aussi que Garrel et Renier sont en compétition pour le même film dans la même catégorie...Vainqueur : Déterminé le 20 février lors de la 40ème cérémonie des César.

Box-office

Le résultat est sans appel. Sorti le 8 janvier 2014, Yves Saint Laurent a rassemblé 1 639 214 spectateurs sur 326 copies (30ème plus gros succès de l?année 2014). Tandis que Saint Laurent, sorti le 24 septembre, n?a vendu que 356 741 billets sur 213 copies. Le Lespert -plus grand public- a terrassé le Bonello -plus arty-, attirant plus de quatre fois plus de spectateurs que lui. Vainqueur : Yves Saint Laurent