Automne is coming...
Westeros vs la Terre du Milieu. Le choc entre les deux événements de la fin d’été, House of the Dragon et Le Seigneur des anneaux : Les Anneaux de pouvoir, oblige à se poser une question : pourquoi la fantasy a-t-elle disparu du grand écran pour régner sur la télé ?
House of the Dragon ou Le Seigneur des Anneaux : lequel aura le plus de succès ?Personne n’a été dupe. Quand HBO a annoncé que le premier épisode de House of the Dragon allait être diffusé le 21 août 2022, il s’agissait de couper l’herbe sous le pied d’Amazon, qui avait calé le premier épisode des Anneaux de pouvoir au 2 septembre 2022. Dans le monde d’avant, cette bataille de positionnement semblait réservée au cinéma : les studios plaçaient leurs blockbusters des années à l’avance pour se réserver les meilleurs week-ends de sortie afin de ravager le box-office. Une pandémie est passée par là et, dans le monde du streaming, les dates de sortie ne semblaient plus avoir tellement d’importance. Pourtant, le geste de HBO prouve qu’une bataille va bien se jouer sur petit écran. Objectif : être l’événement « série » de la rentrée, rendre tout le monde accro, occuper les réseaux sociaux et les discussions. Dans le coin rouge : le prequel de Game of Thrones, la série qui a tout changé avec sa violence et sa sexualité ; dans le coin bleu : le retour de Tolkien à l’écran, huit ans après la fin de la trilogie du Hobbit avec un prequel à La Communauté de l’Anneau. Deux retours vers le passé, chronologique et symbolique, pour faire à nouveau le buzz. Pour House of the Dragon, il s’agit de recréer le phénomène de la série de 2011 ; quant aux Anneaux de pouvoir, il faudra retrouver le sentiment épique de la première trilogie de Peter Jackson. Voilà pour les enjeux. Avec pourtant une différence de taille : cette fois, la bataille entre ces véritables blockbusters s’effectuera dans votre salon (ou sur votre smartphone), pas en salles.
House of the Dragon : peut mieux faire, mais gros potentiel [critique]MONTS ET MERVEILLES
Le temps où les studios dépensaient un budget digne d’un PIB annuel pour porter à l’écran des fresques de fantasy paraît donc révolu. Après 2003 et la sortie du Retour du roi, on a vu pendant une dizaine d’années fleurir des adaptations, concrétisées ou non, de premiers tomes de séries littéraires, promettant monts et merveilles. Vous vous souvenez d’Eragon en 2006 ? Le film, un joli succès en salles, avait été tellement mal accueilli par la critique que ses suites furent annulées.
Aujourd’hui, Disney prévoit un reboot d’Eragon… sous forme de série sur Disney+. Le film d’aventures Willow (Le Seigneur des anneaux version George Lucas) ? Come-back bientôt prévu sur Disney+ et, oui, en série. La seule fantasy qui règne en salles est donc celle des superhéros et du Marvel Cinematic Universe (au sens large, chez les Américains, est fantasy tout ce qui relève de l’imaginaire). La fantasy telle qu’on l’entend ici, la sword and sorcery, avec ses mondes imaginaires, ses épées, ses dragons et ses sorciers, trouve de nos jours refuge « à la télé », comme on dit de moins en moins. Au fond, ça paraît presque normal : le format sériel offre toute la place pour adapter d’immenses sagas, ce que le cadre du film ne permet pas, laissant forcément les fans du matériau sur leur faim et donnant aux profanes l’impression de voir des adaptations inachevées. Côté industriel, c’est également très avantageux : le budget d’une saison est souvent inférieur à celui d’un film (la saison 1 de The Witcher n’aurait coûté que 80 millions de dollars, le prix du mini Morbius pour Sony), alors que la fantasy demande a priori plus d’investissement que de la SF, où l’on peut réutiliser des lieux/objets contemporains (par exemple, la série Fondation, tournée en partie dans la bibliothèque du Trinity College de Dublin).
Mais au-delà de ces arguments, c’est le succès de Game of Thrones qui semble avoir tout changé. D’abord, il a globalement élevé le niveau d’exigence artistique – parfois au détriment du cinéma. En 2014, comment pouvait-on s’intéresser à un film aussi informe que Le Septième Fils (d’après le cycle de L’Épouvanteur, treize tomes au compteur) quand, chaque semaine, HBO avançait l’intrigue tordue et addictive de Game of Thrones ? La révolution GoT fut massive. Sans précédent. En quelques années, la série s’est imposée comme la nouvelle norme du genre, inspirant en termes de ton et d’esthétique des programmes aux origines littéraires très dissemblables, comme la très sombre saga The Witcher (qui compte neuf romans et trois jeux vidéo à succès) ou la plus lisse Roue du temps (quatorze tomes pour le moment, très inspirés du Seigneur des anneaux). Musicalement, visuellement, scénaristiquement, le monde des séries utilise désormais les mêmes outils que Game of Thrones. Et pas que le rayon fantasy – son générique hypnotique est décalqué aussi bien par La Roue du temps que His Dark Materials : À la croisée des mondes ou même The Crown. Au point de devenir envahissant et de tuer toute créativité ? C’est, entre les lignes, ce que nous confiait l’artiste John Howe, légendaire illustrateur de Tolkien et auteur de dessins préparatoires sur les deux trilogies de Peter Jackson comme sur la série Amazon. Il s’est tenu volontairement éloigné de Game of Thrones : « Je n’ai pas vraiment regardé Game f Thrones, je ne devrais pas le dire… (Rires.) J’en ai vu des bouts, mais je me suis parfois empêché de la regarder car je devais faire un calendrier sur le roman et je ne voulais pas me laisser influencer par la série. Je n’ai pas la patience de regarder des séries aussi longues. Mais l’avantage de Game of Thrones, c’est qu’on peut y mettre des références médiévales connues. Chez Tolkien, on ne peut pas vraiment le faire. Il y a toujours un pas de côté », explique le dessinateur. D’ailleurs, pour lui, GoT et la série Amazon sont différentes. « Je ne suis pas certain que les deux séries soient comparables, affirme-t-il. Ce qui m’interpelle beaucoup, c’est la nature actuelle des fans. Je les apprécie car nous avons besoin d’eux pour notre métier. Ce que l’on fait leur appartient d’une certaine manière, et comme ils sont très investis et passionnés, ils savent tout, ce qui est très pratique pour quelqu’un comme moi qui ne suis pas un expert. Mais d’un autre côté, j’aimerais que les fans se relaxent, pour une fois ! Qu’ils laissent le temps à la série de s’installer. Moi, je m’empêcherai de donner mon avis avant d’avoir vu la première saison. C’est comme si vous alliez au cinéma, vous voyez les vingt premières minutes d’un film de trois heures et vous en faites une critique ! C’est impossible. »
Comme le note Yann Boudier à l’entrée « Séries » du Dictionnaire de la fantasy (Vendémiaire, 2018) : « Alors que l’Hiver s’installe, et que la série semble, de plus en plus, incarner le nouveau standard, remplaçant les déclinaisons uniformes de Tolkien à l’encontre desquelles G.R.R. Martin avait initialement pris la plume pour écrire Le Trône de fer (depuis 1996), qui peut dire d’où viendra le prochain grand renouvellement? »
Le Seigneur des Anneaux - Les Anneaux de pouvoir : contes et légendes inachevés [critique]MARKETING GRAND SPECTACLE
Paradoxalement, les deux séries misent tout sur le fait qu’elles sont aussi grandioses que des films. Le marketing se base entièrement sur le grand spectacle, alors qu’elles ne seront a priori pas diffusées en salles, sauf raison événementielle (la fin de la saison 4 de GoT avait ainsi été projetée en Imax aux États-Unis en 2015). De plus, les deux programmes ont recruté de véritables auteurs pour réaliser les premiers épisodes : Miguel Sapochnik, adoubé comme le meilleur réalisateur de GoT (avec les deux derniers épisodes de la saison 6, La Bataille des bâtards et Les Vents de l’hiver), signe le pilote de House of the Dragon. Juan Antonio Bayona (Jurassic World : Fallen Kingdom) est chargé, de son côté, avec les deux premiers épisodes des Anneaux de pouvoir, de donner le ton de la série entière (qui doit compter cinq saisons). Sapochnik a rendu fou les fans de Game of Thrones avec sa bataille rangée en planséquence, et Bayona, avec The Impossible, est devenu un héritier direct du cinéma de Spielberg. « Si tu veux regarder la série sur un smartphone, c’est ton problème. J’ai fait mon découpage en imaginant le plus grand écran possible parce que, quand tu lis Tolkien, tu réalises qu’il écrivait pour le plus grand canevas, nous explique Bayona. J’ai filmé en CinémaScope d’immenses paysages, où il y a de tout petits personnages… La série est vraiment faite pour être vue sur le plus grand écran possible. Mais qui sait ce qu’on fera du Seigneur des anneaux dans l’avenir avec les écrans ? » En attendant de voir s’il y aura un vainqueur entre les Targaryen de Westeros et les Elfes de la Terre du Milieu, il suffit d’écrire que la fantasy a abandonné le cinéma pour le « petit écran » pour que tombe la bande-annonce du film Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs (prévu pour mars 2023). Le trailer de la nouvelle adaptation (réalisée par les auteurs de la comédie Game Night) du plus célèbre des jeux de rôle ressemble drôlement à celui d’un Gardiens de la galaxie. Du second degré, une esthétique numérique multicolore… Paramount fait de la fantasy façon Marvel – et c’est peut-être une stratégie intelligente. Cela dit, rassurez-vous : un spin-off du film, sous forme de série, est en préparation, chapeauté par Rawson Marshall Thurber, le réal de Red Notice, l’un des plus gros cartons Netflix. Pas sûr, donc, que le renouvellement soit à l’ordre du jour.
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