Freaks Out
Metropolitan FilmExport

Rencontre avec le réalisateur de Freaks Out, petite pépite venue d'Italie.

Actuellement en salles, Freaks Out offre une alternative bienvenue au tout-venant superhéroïque que nous offre Hollywood depuis très (trop?) longtemps. Situé dans l’Italie fasciste des années 40, le film suit un groupe de marginaux, « bêtes de foire » qui peinent à survivre, composés d’un homme-yeti, d’un albinos qui manipule les insectes, d’un type qui contrôle le métal et de Matilde, jeune ado qui brûle tout ce qu’elle touche ou presque. Un pitch plus logique qu’il n’y paraît pour Gabriele Mainetti, l’homme derrière l’ovni On l’appelle Jeeg Robot en 2015, où un petit voleur se retrouvait malgré lui en possession d’une force surhumaine. De ses influences personnelles à son rapport aux films de superhéros classiques en passant par son refus du manichéisme, rencontre avec un cinéaste qui sait parfaitement ce qu’il veut, et surtout ce qu’il veut éviter.

Freaks out : un spectacle total comme un Labyrinthe de Pan punk [critique]

Première : Même si l’approche est particulière, Freaks Out est un film historique, qu’est-ce qui t’a attiré là-dedans ?
Gabriele Mainetti : 
Ce n’était pas forcément un registre auquel je me destinais dans la mesure où je suis très terre-à-terre. J’aime les histoires dont je me sens le plus proche. J’attache énormément d’importance au réalisme, ça peut sembler étrange vu que mes persos ont des pouvoirs, mais tout ce qui les entoure, c’est la vraie vie. Donc placer l’action dans les années 40, c’était un challenge. Ok, on a des références, des documentaires, mais c’est différent. Tout le défi était justement de donner cette impression de réalité en dépit du décalage temporel.

Ce qui saute aux yeux c’est que malgré le sujet, le « méchant » du film, Franz, est plus pathétique qu’autre chose, c’était une volonté dès le départ ?
L’idée ce n’était pas d’avoir un « grand méchant nazi chasseur de monstres », effectivement, ça aurait été trop évident. La réalité de Franz, c’est qu’il appartient aux « freaks » mais qu’il le refuse de toutes ses forces. Le fait d’avoir 6 doigts à chaque main fait de lui un pianiste virtuose, il peut jouer comme
personne mais lui ne le voit pas comme ça du tout. Il se voit comme difforme, comme s’il lui manquait
quelque chose d’essentiel. C’est ce qui le pousse à faire toutes ces horreurs, il croit qu’il a toujours
quelque chose à prouver. Au fond, c’est un personnage triste et complexé. Il y a un parallèle entre lui et
Matilde, qui se dessine au fil du film. Face à leur nature, ils doivent faire un choix. Elle choisit de ne plus
considérer son pouvoir comme une malédiction, là où lui s’entête... jusqu’au bout. En Italie, on est très
catholiques. Ca veut dire que même si tu es athée, si tu as grandi en Italie, tu es de culture chrétienne. Le rapport à la morale, le bien, le mal, c’est très binaire, mais très hypocrite aussi. On a ce côté « si je fais une grosse connerie mais que je demande pardon, on oublie », tu vois ? C’est pour ça que j’aime bien montrer des personnages qui ont un parcours complet, que tu aies tous les tenants et aboutissants de leurs décisions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, tu dois voir leur réalité en face, on ne met rien sous le tapis.

Entre le pathétique du méchant et la vision positive de la figure du freak, on pourrait voir un rapprochement avec les débuts de Burton.
C’est sûr qu’à partir du moment où ils sont confrontés au regard extérieur, forcément ça fait ressortir leur
humanité. Bon, là où je suis un peu « aidé », c’est que quand les humains sont des nazis, ce n’est pas dur de prendre les freaks en empathie ! Pour Burton... Je suis un vrai cinévore, j’ai grandi avec ses films, ses deux Batman notamment, ce sont des souvenirs que je garderai toute ma vie. Je ne sais pas bien ce qui s’est passé pour lui, ses derniers films, ce n’est plus la même chose... Mais par exemple, si je pense au Joker et que je ferme les yeux, je vois d’abord celui de Nicholson, ça m’a trop marqué. Bien sûr on
pourrait parler de Rossellini, du néoréalisme italien qu’on connaît tous, mais je ne renie pas mes
influences de jeunesse.

Pour pitcher On l’appelle Jeeg Robot j’utilisais le raccourci « c’est la rencontre de Gomorra et Superman ». Pour celui-ci certains parlent de « X-Men contre les nazis », c’est caricatural mais qu’en penses-tu ?
C’est marrant, je comprends le raccourci. A vrai dire, pour Gomorra, je me sens plus proche de l’œuvre
de Saviano et du film de Garrone que de la série. Le Gomorra « originel », c’est presque une approche
documentaire, la réalité dépeinte, le style, c’est très fidèle à ce qu’on peut voir en vrai. La série, c’est
différent, on est plus dans le domaine du western pour moi. Si tu vas voir les gens du coin, ils vont te dire
que ça ne se passe pas comme ça, il y a quand même de la distance avec le réel.
Pour le 2e raccourci, c’est logique, beaucoup de gens ont fait le rapprochement. Les X-Men de Brian
Singer m’ont beaucoup touché à l’époque. Je sais qu’à la base, les studios étaient un peu frileux par
rapport à la scène « d’origines » de Magneto. C’est pourtant les fondations de tout le personnage. Si tu ne le montres pas subir l’horreur nazie, les camps de concentration, et bien tout ce qu’il fait plus tard, ce
qu’il devient, n’a plus aucun sens, ou en tout cas pas le même impact. Je suis peu sensible aux histoires de superhéros « classiques » mais je dois dire que les X-Men, ça fonctionne, parce que justement, il y a une connexion très forte avec le vrai monde. Si on parle de style, je dois dire que j’aime beaucoup les Spider-Man de Raimi, mais là c’est différent : c’est uniquement pour Raimi, pas vraiment pour Spider-Man.

Pour les X-Men, ça tient pas mal au personnage de Matilde qui peut rappeler Rogue dans la mesure où leurs pouvoirs empêche le contact physique...
C’est vrai que vu comme ça... Oui, ça peut même être considéré comme une citation directe en fait. Je
n’y ai pas pensé sur le moment mais ça se rapproche.

Un autre rapprochement, peut-être plus hasardeux, ce serait avec Balada Triste.
Hmm ! Il y a évidemment des thématiques similaires. Après, Balada Triste se concentrait vraiment plus
sur le cirque, et sur le parcours d’un personnage, avec la transformation finale du clown. Accessoirement
c’était bien plus pessimiste. Il se trouve que j’ai une anecdote un peu spéciale par rapport à ce film. C’est
une œuvre que je trouve brillante, magnifique niveau image mais malheureusement le film n’a pas marché commercialement. Il faut vraiment se souvenir que le succès public n’a pas été au rendez-vous. Et un des co-producteurs de Freaks Out bossait sur la distribution de Balada Triste. Du coup il n’arrêtait pas de me dire ironiquement « si tu nous fais une Balada Triste, t’es mort » (rires).

On l'appelle Jeeg Robot : le superhéros à l'italienne

Par rapport à On l’appelle Jeeg Robot, on passe à l’étape supérieure, visuellement.
C’est bien si ça se remarque ! Il y a un palier de franchi par rapport à Jeeg Robot, c’est sûr. Je ne vais pas être original mais c’est pas mal une question d’argent et d’astuces. Parfois, des gens qui ne sont pas au courant de notre budget me disent « mais la scène finale, ça a dû coûter des millions et des millions ! ». Le film entier a coûté 13 millions, pas plus. Quand on me dit que ça a l’air d’en avoir coûté 30, c’est le
plus beau compliment qu’on puisse me faire ! Pour te dire jusqu’où va le côté système D : dans le dernier acte, il y a une scène d’action assez longue autour d’un train. Dis-toi que ce train, suite à des
complications, n’était toujours pas là au moment voulu. Donc une partie de l’équipe commence à
paniquer, il y a des artificiers, c’est pas le genre de séquence que tu peux tourner 10 fois dans une
production comme la nôtre ! Finalement on a continué de tourner là où tout le monde nous disait que
c’était foutu, le train a fini par arriver in extremis... C’est là que c’est bon d’être entouré par des gens de
confiance.

Quelles ont été les meilleures scènes à tourner, en terme de plaisir de réal ?
Globalement tout le dernier acte, c’était un plaisir. La scène dans le wagon avec Cencio qui déploie
vraiment l’étendue de son pouvoir et les nazis qui subissent l’attaque, ça fait partie de mes meilleurs
moments. Tu as la montée, tu sais que le résultat va être spectaculaire, mais surtout, la scène est portée par la musique. C’est une séquence musicale avant tout, c’est ça qui fait que ça marche.

D’où est venue l’idée des « visions d’avenir » de Franz ?
Ce n’était pas mon idée de départ mais celle de mon co-scénariste Nicola Guaglianone. En gros dans les films d’époque, tu te retrouves avec ce dilemme pour la bande-son : est-ce qu’on peut utiliser tel morceau alors qu’il a été créé après la période qu’on met en scène ? Perso, je trouve ça stupide, c’est de la musique, on devrait pouvoir l’utiliser comme bon nous semble. Mais devant certains films historiques, inconsciemment, tu sens bien qu’on est parfois surpris d’entendre certaines chansons. Là en plus, c’est un contexte très chargé. Bref, donner à Franz des visions du futur permet de s’affranchir complètement de tout ça. Il reprend des tubes pop au piano parce qu’il les a « vus » dans l’avenir. Il y a du "Creep", du "Sweet Child O Mine", etc.

Les blockbusters de super-héros sont parmi les plus rentables depuis bientôt 10 ans. Quel est ton regard là-dessus ?
Je suis bien sûr au courant de la citation de Scorsese sur le sujet... Je n’irai pas jusqu’à dire que ce n’est
pas du cinéma. Objectivement si tu regardes le parcours de quelqu’un comme Kevin Feige (boss de Marvel Studios, NDLR), tu vois qu’il a eu ce qu’il cherchait. Cette réussite, on ne peut pas lui enlever, leur saga est ultra populaire, c’est un fait. Maintenant, filmer des gens en costumes parfaits qui savent d’office distinguer le bien du mal, où l’intérêt principal c’est les affrontements physiques... je n’y vois
sérieusement aucun intérêt à titre personnel. Ce n’est pas le type d’histoires que je veux raconter, j’ai
énormément de mal à m’attacher à des héros pareils. C’est lisse.

Donc si Kevin Feige t'appelle demain et te dit « je viens de voir Freaks Out, je suis conquis, bossons
ensemble »
, tu raccroches ?

(rires) Comme tu sais, on m’a appelé pour le 1er film Venom. J’ai décliné. La vraie question c’est
comment toi, cinéaste, tu t’y retrouves, une fois impliqué dans une grosse machine comme ça. Ma vision
de Venom, c’est une sorte de Dr. Jekyll et Mister Hyde, quelque chose de sombre avec un perso
tourmenté, au minimum. C’est pas du tout ce qu’ils voulaient. J’ai vu certaines bande-annonces, y
compris du 2e volet, bon, c’est clairement des films pour enfants. Et il n’y a pas de mal à ça, simplement
ce n’est pas pour moi. Et puis tu vois bien, j’écris, je réalise, je compose la musique du film. Je ne saurais pas comment m’adapter à autant de contraintes. L’autre truc, c’est que je pense qu’il est temps que le cinéma européen soit une force de proposition à l’international. Le blockbuster US, c’est une formule qui marche, ok. Mais si des Français, des Italiens, qui tu veux, peuvent prouver au reste du monde qu’eux aussi ont des choses à dire sur ce registre, et que la vision peut parfois être un peu différente, pour moi c’est là qu’il faut aller, sans chercher à suivre un modèle préexistant. On a les moyens de le faire, au niveau créatif comme financier. Arrêtons de se brider et de regarder ailleurs systématiquement.