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Devant la caméra de Bertrand Bonello, elle campe une Youtubeuse intrigante dans un film tourné comme en contrebande, avec une équipe réduite en peu de temps. Rencontre.

Coma, le nouveau film de Bertrand Bonello, met en scène une ado confinée dont on partage les rêves et les cauchemars mais aussi ses échanges virtuels avec une Youtubeuse étrange que vous incarnez. Un film construit sur des fragments mêlant extrait de L’Enfer de Clouzot, lettres de Bonello à sa fille, reconstitution d’une sitcom mettant en scène Barbie et Ken ou encore des textes de Gilles Deleuze. Quelle fut votre première réaction à la lecture de ce projet singulier ?

Julia Faure : Avec Bertrand, on se connaît depuis des années où on se croise régulièrement. Là, il m’a d’abord fait lire les premières pages de son scénario. Il avait besoin de retour pour savoir si ça valait le coup de continuer. J’avais déjà vu le point de départ du film, cette lettre à sa fille dont il avait déjà fait un court métrage en 2014, Où en êtes- vous Bertrand Bonello ?, que j’avais trouvé magnifique et qu’il a juste un petit peu travaillé pour Coma. Evidemment, je l’ai encouragé à continuer. Et quelque temps après, j’ai reçu les pages suivantes avec notamment cette fois- ci présente ce personnage de Youtubeuse mystérieuse, Patricia Coma, qu’il allait me confier. Et je trouve ça tellement intriguant, tellement libre que forcément ça donne envie de faire partie de ce projet, même si je n’en connais pas encore la fin. Dès lors, il ne va jamais cesser de m’envoyer ses nouvelles versions. Mais tout cela a été très rapide. Puis, une fois qu’il a décidé de me confier le rôle, on s’est vus deux ou trois fois pour lire le scénario tous les deux et trouver Patricia Coma ensemble.

Quel était le danger à éviter avec ce rôle ?

Il ne fallait pas que ce soit monotone. Elle devait être clivante mais ni farfelue ni maîtresse d’école. Ce film tient sur une série d’équilibres. Et si l’un de ces équilibres vole en éclats, tout le récit s’en trouve impacté. Or chez ce personnage qui semble en contrôle, tout va peu à peu se fissurer. Il fallait trouver ce glissement de la manière la plus fluide possible

Comment vous y êtes- vous employée ?

Bertrand m’en a donné la direction à la première lecture… en m’expliquant de manière comme toujours chez lui très flegmatique, après m’avoir vu fait faire une proposition, que… ce n’était surtout pas vers là qu’il voulait aller ! (rires) Et il avait raison. Je le sentais en le lisant mais je voulais quand même le tenter pour être certaine. Ca m’a en tout cas permis de trouver le chemin. Tout est devenu clair. Les lectures suivantes n’ont fait que confirmer qu’on avait bien la même vision du personnage en tête. Mais une fois sur le plateau, c’est une autre paire de manche.

Pour quelle raison ?

Parce que je me retrouve seule face à la caméra. C’était finalement facile de lire en face de lui car Bertrand était alors comme un partenaire. Là, je n’en ai plus. Avant de tourner ma première scène, je me dis que ça va peut- être être très libérateur pour imposer mon rythme et ce que je veux. Mais ça n’a pas été le cas car au final, c’est toujours la caméra qui gagne et qui fait qu’on se sent démunie. Mon challenge a donc consisté à continuer à porter ce masque de contrôle absolu alors que je suis plus scrutée que jamais puisque la caméra est doublée du regard de Bertrand. Mais ce qui paraît un obstacle devient finalement peu à peu une aide car cela permet justement de ne jamais se relâcher

Comment se comporte Bertrand Bonello sur un plateau ?

C’est quelqu’un qui parle peu. Notamment parce qu’il estime que le travail essentiel a été fait en amont. Par contre, le peu qu’il dit est essentiel et précis, essentiellement sur des questions de rythme et de musicalité, de dosages de silence. Et il sait le distiller peu à peu pour arriver à ce qu’il souhaite. Il ne vous bombarde pas d’informations. Et surtout j’ai une totale confiance en lui. Je sais qu’il n’arrêtera pas les prises tant qu’il n’aura pas obtenu la note juste. Et moi, ça me libère, je ne gamberge pas pendant que je joue, je me livre simplement entièrement à son regard. Après, c’est quelqu’un qui n’est pas expansif. Quand il dit « pas mal », c’est que c’est vraiment top ! (rires) Les premiers jours, ça déstabilise un peu puis on s’y fait vite. C’est vraiment un tournage – dans mon cas, six journées d’affilée avec une toute petite équipe, sept en tout, sans perchman par exemple - que j’ai vécu dans une joie et une légèreté absolue, malgré la profondeur du propos. D’autant plus qu’alors que ce film parle d’enfermement, on vivait ce moment dans une libération totale puisqu’on était autorisé à sortir de chez nous et faire notre métier en dépit des restrictions COVID. Comme comédienne, j’ai eu le sentiment de vivre le luxe absolu. De revenir aux origines du cinéma, dans un tournage façon contrebande

Comment avez- vous réagi à la découverte du film ?

J’ai été frappée par la beauté des mots comme des images. Et bouleversée par la lettre qui conclue Coma que Bertrand adresse à sa fille et plus largement à la jeunesse et au fond à des gens de tout âge qui peuvent se sentir démunis, perdus car trop en marge pour leur dire que c’est peut- être le centre qui est le diable et que la poésie naît précisément de la marge. Essayer de transmettre à la jeunesse qu’il faut faire attention de ne pas succomber à l’air du temps, alors que tout, aujourd’hui, les y pousse, me paraît un geste essentiel.

Coma. De Bertrand Bonello. Avec Julia Faure, Louise Labeque, Laetitia Casta… Durée : 1h20. Sortie le 16 novembre 2022