La Fille de son père
Pyramide Distribution

Rencontre avec Erwan Le Duc, réalisateur de ce film très touchant porté par par Céleste Brunnquell, Nahuel Perez Biscayart et Maud Wyler. Cette dernière répond aussi à nos questions.

Perdrix ? "C'est une folle comédie romantique." La Fille de son père ? "Un bijou d'humour et de mélancolie." 

En deux films, Erwan Le Duc a conquis Première par son univers particulier. Nous l'avons rencontré le mois dernier, lorsqu'il présentait son nouveau film au festival de Sarlat avec l'une de ses comédiennes, Maud Wyler. Il y a d'ailleurs remporté un prix : celui du meilleur acteur pour Nahuel Perez Biscayart (Au revoir là-haut, 120 battements par minute), génial en papa poule de Céleste Brunnquell (Les Eblouis, En thérapie).

Alors que La Fille de son père vient d'arriver dans les salles de cinéma, Erwan et Maud décryptent en duo leur méthode de travail.


Portrait de Maud Wyler, l’irrésistible révélation de Perdrix

Première : Perdrix, votre premier long métrage, avait déjà ce ton particulier, mélangeant comédie, drame et poésie. Vous avez conçu La Fille de son père comme une sorte de suite spirituelle ?

Erwan Le Duc : Concrètement, je n'ai pas enchaîné ces deux projets, j'ai fait une pause pour reprendre mes esprits après ce premier film, puis j'ai commencé à écrire celui-ci au bout de quelques mois. Ce qui a été dans la continuité, c'est que dans Perdrix, il y avait un personnage de père élevant sa fille adolescente, joué par Nicolas Maury. Il était un peu secondaire, mais j'avais envie de poursuivre cette thématique.

Personnellement, je ne pense pas que ce soit une suite, mais il y a une continuité, oui. Tous les réalisateurs vous diront ça : quand on écrit un deuxième film, on a très peur de redire, de reproduire les mêmes choses. J'avais ça en tête, forcément. Enfin à un moment donné, il faut y aller et ne pas rester bloqué par ses inquiétudes ! Mais oui, il y a des similitudes, c'est certain. Julie Dupré, qui a monté les deux films, m'a dit à la fin : 'Tu ne te rends pas compte du nombre de choses qui résonnent entre eux.' Et c'est vrai que je ne m'en rends pas bien compte, donc tant mieux. Après coup, je vois qu'il y a beaucoup de choses qui sont en lien. En tout cas, l'écriture, l'envie de ce film est partie ces deux personnages là, d'un parent et de son enfant qui grandissent ensemble en vase clos et qui s'éduquent l'un l'autre.

Le casting illustre cet aspect "dans la continuité", à la fois proche et différent, puisque vous retrouvez Maud Wyler et engagez à ses côtés de nouveaux comédiens tels que Nahuel Perez Biscayart et Céleste Brunnquell.

Erwan : Pour le personnage d'Hélène, j'ai écrit en pensant à elle, c'est vrai.

Maud Wyler : Si je peux me permettre, tu me l'as tout de suite présentée comme très différente de mon personnage de Perdrix. Tu m'as immédiatement parlé de contes, de sa fonction de fée. Comme la Fée des Lilas interprétée par Delphine Seyrig dans Peau d'âne de Jacques Demy. D'une certaine façon, elle est là pour remettre le père à sa place de père, la fille à sa place de fille, pour redessiner les contours de la famille, d'une manière délicate. Il y avait une chose comme ça à inventer. Elle changeait beaucoup des personnages qu'on avait pu me confier jusqu'ici, avec une tendresse assumée, une confiance et une chaleur. Je ne sais pas à quel endroit ça se travaille exactement, les possibles étaient larges, on pouvait proposer des choses. Ce n'était pas revêche, je n'ai jamais eu l'impression d'être à la bagarre, ce qui peut être parfois le cas sur un tournage. J'ai apprécié ce côté 'doux', même si en même temps, elle dit et demande des choses. Elle a aussi une forme d'autorité.

Erwan : Pour moi, elle incarne aussi un peu l'esprit du film. Comme celui de Youssef, joué par Mohammed Louridi. Il y a chez eux une gravité, mais il n'y a pas de lourdeur. Ils sont capables de dire des choses assez dures, tout en gardant une certaine légèreté, et une liberté.

Pour Étienne et Rosa, je n'avais pas forcément d'idée en tête au départ et le casting s'est fait de manière assez classique, finalement. C'est à dire qu'à la fin de l'écriture du scénario, j'ai refait appel à Aurélie Guichard et Elsa Pharaon, les directrices de casting de Perdrix, et en discutant on imaginait des gens. Quand le nom de Nahuel est entré dans la discussion, ça m'a tout de suite beaucoup plu cette idée là. Déjà, parce que c'était pas tout à fait évident, un peu contre intuitif par rapport au personnage d'un jeune père entraîneur de football amateur dans une petite ville... Mais moi, ça me plaisait beaucoup ça, justement parce que je trouvais que ça ouvrait d'autres territoires. Quand je l'ai rencontré, j'ai pu voir à quel point il avait une grande force de proposition. Et ça aussi, ça me plaisait. Pour le personnage de Rosa, on a vu plusieurs jeunes filles, on leur demandait de jouer quelques extraits du film, souvent les scènes les plus dures. C'était une découverte, Céleste, et quand ils ont répété ensemble avec Nahuel, c'est là qu'on a senti que ça fonctionnerait.

N'avez-vous pas choisi aussi Nahuel parce qu'il ressemble un petit peu à Swann Arlaud, qui tenait le rôle masculin principal de Perdrix ?

Erwan : C'est marrant que vous me demandiez ça, car effectivement, je trouve qu'ils ont un truc en commun. D'ailleurs, j'aimerais beaucoup qu'on retravaille ensemble avec Swann, mais sur ce projet, pour le coup, j'avais besoin de changer d'incarnation. Mais oui, le jour où j'ai annoncé à Swann que j'allais faire mon deuxième film avec Nahuel, il m'a répondu du tac au tac : 'Tiens, c'est drôle, on est souvent sur les mêmes rôles !' Oui, il y a une singularité des deux côtés, mais ça, c'est pareil, c'est le genre de choses dont je me rends compte après coup.

Maud : Grâce aux monteuses et aux journalistes. (rires)

Erwan : Ce qui est sûr, c'est que j'aime bien être entouré de comédiens qui apportent beaucoup de choses, en fait. C'est sans doute ça, le point commun de toutes les personnes qu'on vient de citer ? Je ne leur demande pas d'être des interprètes au sens propre, mais de s'emparer des personnages. J'écris un texte du mieux possible, et... bon, j'en mets parfois trop, et je sais que c'est trop, mais c'est aussi pour leur en donner plus qu'il n'en faut, qu'ils aient toute cette matière tout de suite. L'idée, c'est qu'ils puissent s'emparer de tous ces sentiments et inventer des choses à partir de ce que je leur propose.

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Il y a plein de détails dans La Fille de son père qui sentent le vécu. Des réflexions ou éléments de décors qui peuvent sembler totalement anecdotiques, mais qui donnent au film une certaine réalité.

Erwan (pas convaincu) : Ah oui ? Peut-être, un peu.

Maud : Ben quand même. La voiture de tes parents, c'était vraiment un Renaud Espace, non ?

Erwan : Ah mais ça, c'est un hasard. Je n'ai pas choisi cette voiture. Moi, j'ai juste dit à l'équipe qu'on aurait besoin d'un grand véhicule parce qu'il y avait cette idée que c'était celui du club, qu'Etienne allait faire un peu le transporteur avec. Ce sont les gens de la régie qui ont proposé des voitures. Là, effectivement, il y avait la copie conforme de celle de mes parents... et maintenant je dois me justifier. Sauf que je n'avais pas fait exprès ! (rires)

Maud : Donc il y a bien du vécu ?

Erwan : Oui, d'accord, un peu. Il y a du vécu à l'endroit du football. Et de la peinture. Je faisais de la peinture quand j'étais adolescent, dans la cave de mes parents. Comme ça m'intéressait beaucoup, j'avais même déposé un dossier aux Beaux-Arts de manière un peu inconsciente, sans rien y connaître du tout. Je n'ai évidemment pas été pris, mais oui, je reconnais que toute cette partie là s'inspire de ma jeunesse.

Dans les répliques, aussi ?

Erwan : Ça, je ne pourrais pas dire que c'est du vécu. Je n'ai pas recopié d'échanges, par exemple. Mais disons que je m'inspire aussi des gens autour de moi. C'est vrai qu'il y a une jeune fille de mon entourage qui a l'âge du personnage, c'est la fille d'amis proches. Dans le personnage de Rosa, il y a des choses qui viennent d'elle aussi je pense.

Maud (en souriant) : Une jeune fille qui s'appelle Rose.

Erwan : Non mais ça, c'est tout à fait un hasard aussi. (Maud éclate de rire) Ok, c'est vraiment bizarre parce que ce prénom, je l'ai choisi avec toute une histoire derrière, je m'étais raconté que les deux parents avaient prénommé leur fille d'après Rosa Luxembourg, que c'était lié à leur engagement politique. Je veux bien admettre que je suis assez observateur, donc je prends des choses qui ne sont pas forcément du vécu. Enfin, qui peuvent être du vécu, mais pas du mien. C'est pas forcément ma vie à moi, c'est parfois la vie des autres.

Comme j'ai été journaliste pendant longtemps, mon travail à la base, c'était d'observer. Je bossais dans le sport et ce que j'aimais, c'était d'aller en reportage et de vraiment regarder, pas forcément intervenir beaucoup. Je crois bien que de toutes les conférences de presse que j'ai faites, je n'ai jamais posé une seule question. Sans doute un peu par timidité, mais aussi parce que ça m'intéressait plus d'écouter et d'observer, de voir comment les choses se sont organisées et de retranscrire ça. Et je crois que j'ai gardé un peu ce truc là dans l'écriture, ce qui fait que je prends beaucoup de notes, je m'inspire de la vie, des gens qui m'entourent. Jusqu'au moment du tournage, il y a des choses dans le film qui sont en fait des moments de vie de l'équipe.

Par exemple ?

Erwan : Vous voyez cette scène où Youssef escalade la maison ? Il y a un couple de passants, des gens un peu âgés. Ça, c'est les parents d'un des producteurs, qui étaient présents ce jour là par hasard, parce qu'ils habitent dans la ville où on tournait ! Quand je tombe sur une opportunité comme ça, je dis : 'Attendez, ça m'intéresse, on va créer une sorte de triangulaire de regards.' Car il y a aussi le point de vue du jeune qui aide Youssef.

Ce garçon là, Louis, c'est le stagiaire caméra, qui m'avait contacté avant le tournage pour ses études. Il a un tel style que j'avais envie de le filmer, même brièvement. Ce genre de trucs, ça s'improvise sur le moment. En plus ça relève de la pure envie de mise en scène : on a envie de filmer quelqu'un et c'est en fait la première impulsion. Elle est là, on ne sait pas précisément ce que ça peut donner, mais ça peut être bien. J'essaye d'amener ce genre de choses sans trop me poser de questions. Le stagiaire, j'avais simplement envie de le mettre devant la caméra. Il ne fallait pas que ce soit gratuit, mais je ne l'ai pas non plus énormément écrit. Juste, il est là, il accompagne son pote, il l'aide, et ça permet de donner vie à Youssef, qui n'apparaît plus comme un personnage isolé. Même si ce mec, qui est tout le temps là à côté de lui, est juste là pour écouter de la musique. (rires)

C'est d'autant plus marrant que Youssef est, lui, un personnage très écrit. L'acteur a dû apprendre beaucoup de textes ?

Erwan : Mohammed, c'est sa première expérience de cinéma. Il vient de L'École de Théâtre du Nord, c'est son premier film, il n'a même pas fait un court métrage avant ça. J'aime bien travailler avec de jeunes, des lycéens, car j'ai un rapport au texte qui fait que les acteurs de théâtre ont peut-être plus de facilité avec mes scénarios, avec les choses très écrites comme ça. Ils peuvent s'en emparer, naviguer dedans, ils n'en ont pas peur et s'amusent avec. Au contraire, ils s'en servent, ils le grandissent.

Maud, vous êtes vous même une actrice de théâtre. Et Nahuel aussi, d'ailleurs.

Maud : Oui, on partage cette expérience commune, lui a beaucoup joué en Angleterre, à New York, moi en France, dans différents styles... Je crois que ce qui plait à Erwan, c'est que les acteurs qui ont cette formation théâtrale, ils n'évacuent pas leur texte, ils n'ont pas peur de dire des mots. On a un plaisir, un appétit pour cela.

Erwan : Céleste, c'est un peu un contre-exemple, parce qu'elle n'a pas eu cette formation théâtrale, elle a une liberté, un côté naturel qui prend le dessus.

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Patrick Dewaere a-t-il été une source d'inspiration pour votre personnage principal ? On pense souvent à Coup de tête en suivant ce jeune papa sportif, très énergique...

Erwan : Patrick demeure bien sûr un acteur majeur, c'est quelqu'un me touche beaucoup. Pas seulement dans Coup de tête d'ailleurs. Il avait une grande capacité d'émotion, à la fois à fleur de peau et en même temps un humour mêlé à du désespoir. Tellement humain, en fait. C'est vrai que je l'avais en tête en écrivant ce personnage. J'avais un peu oublié, mais au départ, j'y avais pensé, oui. Je me souviens avoir aussi beaucoup songé à Beau-père de Bertrand Blier. C'est un film assez transgressif, mais dans lequel il était désarmant de sincérité. A l'inverse, pour le rôle d'Etienne, j'avais aussi en tête le Nanni Morretti des années 80, quelqu'un d'assez volubile. On a un peu effacé ce côté 'personnage qui parle tout le temps' avec Nahuel pour privilégier le côté 'physique' de notre Etienne. Toute cette légèreté, la manière qu'il a de courir partout, de sauter, tout ça... Lui préférait exprimer cette énergie là davantage par son corps que par la parole.

Je suis content du résultat, car c'est un rôle dans lequel on ne l'a jamais vu avant. Et ça, c'est toujours un plaisir de spectateur, de redécouvrir un acteur qu'on apprécie dans des registres un peu inattendus.

Maud : Je pense que pour lui aussi c'est très salvateur.

Vous partagez d'ailleurs tous les deux une scène physique, une sorte de danse sensuelle. Comment l'avez-vous conçue ?

Maud : C'était une idée de Nahuel, il en a parlé avant le tournage, car il aime bien travailler comme ça. Il a une chorégraphe qui nous a fait travailler sur le rapport des corps entre eux et c'était une façon géniale de collaborer, de créer nos personnages et leur relation intime en travaillant sur nos corps et leurs mouvements.

Le film navigue entre différents genres, on passe de la comédie familiale à quelque chose de plus dramatique, il y a un basculement.

Erwan : Oui je tenais à ce ton plus onirique, plus surréaliste où le sens, la terre et le sol se dérobent un petit peu sous les pieds du personnage. Alors, le film tangue avec lui... Puis retombe sur ses pattes. Il y a un moment où l'image, la sensation prennent le dessus sur le récit. C'est quelque chose qui m'intéressait et que j'avais envie d'explorer. Je voulais prendre le risque d'aller chercher dans la mise en scène des sensations inhabituelles pour construire un récit qui se raconte différemment. J'espère que ça fonctionne.

La Fille de son père (91 minutes), d'Erwan Le Duc, avec Nahuel Perez Biscayart, Céleste Brunnquell et Maud Wyler, actuellement au cinéma.

Zoom sur Céleste Brunnquell, la révélation des Eblouis