C'est deux millions de moins que pour Parasite, qui a gagné l'Oscar du meilleur film en 2020. Et c'est trois fois moins que pour l'un de ses concurrents !
Variety et The Hollywood Reporter décryptent le carton plein d'Anora aux Oscars, expliquant en détails la stratégie marketing conçue par le patron du studio indépendant, Tom Quinn, pour soutenir le film de Sean Baker lors de la saison des cérémonies. Une épopée fructueuse, puisque le réalisateur de Red Rocket a en tout cumulé 5 trophées : meilleur film, meilleure mise en scène, meilleur scénario, meilleur montage et meilleure actrice pour Mikey Madison. Sans jamais baisser les bras face à la concurrence de Netflix (Emilia Pérez) ou A24 (The Brutalist), en dépensant beaucoup d'argent – et pourtant moins que certains de leurs concurrents- et en ayant des idées originales pour mettre en avant leur histoire de jeune prostituée tombant amoureuse d'un riche héritier d'une famille mafieuse, Neon a parfaitement réussi son pari.
Oscars 2025 : Sean Baker et Anora ne laissent que des miettes à Emilia Perez et The Substance [palmarès]Variety chiffre ainsi la campagne d'Anora aux Oscars à 18 millions de dollars. C'est bien moins que l'un des concurrents : s'il n'est pas cité ouvertement, un distributeur aurait dépensé 60 millions lors de cette même saison des prix à Hollywood. 18 millions, cela représente tout de même trois fois le budget du film de Sean Baker ! Et c'est un tout petit peu en dessous de celui qui avait été débloqué pour promouvoir Parasite de Bong Joon-ho, en 2020 : 20 millions. Lui aussi avait fini sa campagne par le prix le plus prestigieux : l'Oscar du meilleur film.
Fondé en 2017 et doté aujourd'hui d'une équipe de 60 personnes, Neon a réussi l'exploit de remporter ce prix deux fois en cinq ans, "faisant de la société de production indépendante le label le plus en vogue de la ville", explique aussi le média hollywoodien spécialisé dans les coulisses du cinéma :
"À l'approche des Oscars, Neon a adopté une approche unique. Alors que d'autres studios dépensaient leur argent dans des stratégies éprouvées, des projections pour les influenceurs aux publicités brillantes, Neon a garé un camion de remorquage devant un atelier de carrosserie de Los Angeles pour une vente éphémère de marchandises estampillées 'Anora' en novembre — avec des T-shirts et des strings de marque. Environ 300 fans avaient commencé à faire la queue avant même que le véhicule n'arrive. Et pour la première projection du film sur une escort de Brooklyn qui épouse le fils d'un oligarque russe, le distributeur de niche a rempli la salle de travailleurs du sexe plutôt que de votants pour les Oscars."
"Nous suivons notre propre rythme, explique d'emblée son PDG, Tom Quinn. L'idée de céder aux exigences de la campagne plutôt que d'être fidèle à soi-même en tant que film fait une grande différence. Nous ne jouons jamais pour la campagne en elle-même, nous jouons toujours pour le film, le cinéaste et le public. Dans cet ordre."

Le cas d'Anora est également exceptionnel par son box-office : c'est l'un des gagnants de l'Oscar du meilleur film avec les plus faibles recettes de l'histoire, ayant gagné 16,1 millions de dollars aux Etats-Unis et 41,4 millions à l'échelle mondiale à ce jour. Rappelons que Neon contrôle les droits domestiques du film, et qu'Universal Pictures International gère la plupart des territoires étrangers. Un "détail" qui le rapproche de Moonlight, le grand gagnant de 2017, un "petit film fauché" soutenu par A24.
Moonlight, le premier film LGBT, noir, fauché… à gagner l’OscarPourtant, Quinn balaie la concurrence avec cet autre studio indépendant qui connaît un succès grandissant, tout en expliquant que le box-office d'Anora ne représentera qu'une partie de son succès, qui se fera aussi en streaming, en VOD... Et qui lui permettra de soutenir de nouveaux films ambitieux, à commencer par les prochaines réalisations de Sean Baker.
"L'industrie pense qu'il y a une rivalité entre nous, mais ce n'est pas le cas, assure Quinn. Cela fait simplement de bons titres. Moi aussi j'ai pu penser que ce serait notre plus gros adversaire, mais il s'avère que notre plus grand concurrent a été Netflix. Ils ont désespérément essayé de nous devancer pour acheter Moi, Tonya et Portrait de la jeune fille en feu, par exemple, et nous, nous avons fini par perdre face à eux sur Hit Man, May December et Fair Play. Il existe une multitude de films pour lesquels je suis le deuxième enchérisseur [après Netflix]."
THR note à ce sujet que c'est Neon qui a obtenu les droits de distribution internationale d'Anatomie d'une chute suite à sa Palme d'or, en 2023, et que la société est derrière d'autres films honorés de ce même prix au festival de Cannes tels que Titane (2021) et Sans filtre (2022).
A la bataille des enchères, Quinn reconnait tout de même que Neon a essayé d'acheter The Brutalist qu'il qualifie de "chef-d'œuvre absolu." Son réalisateur, Brady Corbet, a finalement choisi A24 en partie à cause d'un désaccord sur la stratégie de sortie, puisqu'il souhaitait que film soit projeté en 70 mm, ce que Quinn pensait difficile à réaliser. Le distributeur assume son erreur, salue Corbet pour sa détermination, puis assure qu'il n'a jamais eu peur qu'Anora puisse perdre face à lui, Emilia Pérez ou Conclave. Même lorsqu'il est reparti bredouille face à ces films aux Golden Globes ou aux BAFTAs.
"Vous devez avoir la conviction et l'endurance pour rester optimistes durant toute la campagne, dit-il. C'est difficile, vraiment ardu. Même si nous sommes rentrés chez nous les mains vides après certaines cérémonie, cela n'a pas changé notre objectif."
Anora vient de ressortir dans les salles françaises. Voici sa bande-annonce :
Mikey Madison, de Once Upon a Time... in Hollywood à l’Oscar pour Anora
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