Le Voyage d'Arlo
Pixar

Où se situe ce film d'animation dans l'échelle de l'évolution ?

En cette soirée de réveillon de Noël, M6 propose deux productions familiales : Le Voyage d'Arlo à 21h05, puis La Bande à Picsou et Le Trésor de La Lampe Perdue à 22h50. Le premier vaut-il le coup d'oeil ? Voici la critique de Première, publiée à sa sortie en 2015.

On sort du Voyage d'Arlo rassurés sur un point : le film va faire un triomphe auprès des familles à l'approche des fêtes. Pensez : l'histoire d'un ado dino (adosaure ?) timide et peureux, séparé des siens, qui va devoir retrouver sa maison avec l'aide d'un petit homme sauvage. Et à l'arrivée devenir un dinosaure adulte fort et courageux après une série d'épreuves et de rencontres. Rarement on a vu chez Pixar film aussi droit-au-but, aussi direct et évident. Bien sûr, techniquement, c'est l'hallucination : le photoréalisme des décors est tout bonnement dingue, on a réellement l'impression que la caméra se balade dans les forêts des Appalaches, le contraste avec les personnages cartoon et souples est fort mais plutôt réussi, c'est ce que Scott McCloud appelle l'effet « shadowing » et c'est pour mieux s'identifier aux héros. Mais on ne demande pas du réalisme fou à un film d'animation. Pas que. On lui demande du style. Créer une flaque d'eau reflétant le soleil en 3D est certes un coup de maître, mais ils auraient pu s'épargner la peine et en filmer une vraie car la caméra ne s'autorise que très rarement des coups de folie, des effets d'échelle impossibles à faire dans la réalité. La baffe technique d'Arlo est aussi sa limite.

Briseur de rêves

Le secret de la réussite des plus grands Pixar est moins à chercher dans le souci technique que dans la perfection du storytelling, de la science du récit (revoir Toy Story c'est surtout remarquer qu'il a mal vieilli techniquement). Le contraste avec Vice Versa (finesse, imagination, rythme, surprise, high concept) est brutal : le précédent Pixar est tout ce que Le Voyage d'Arlo n'est pas. L'histoire d'Arlo est composée de déjà vu. Dès le premier acte Petite maison dans la prairie avec le papa fort et sentencieux qui enchaîne les phrases fortune cookie (« Laisser son empreinte, ça se mérite »), on sait où le film va nous emmener et comment il va se terminer. Et pour arriver à sa conclusion, Arlo va enchaîner une série de rencontres mal cousues, qui donnent l'impression de voir le work in progress. Certaines scènes sont même complètement absurdes. Le passage avec le dinosaure clodo Collectionneur est un grand moment, surtout quand ce personnage (doublé en français par Eric Cantona pour ajouter du WTF) craintif et couvert de petits animaux pour se protéger présente ses compagnons : « celui-ci, c'est Briseur de rêves, il est là pour me protéger de mes désirs irréalisables » (sic). On ne verra plus ce personnage de tout le film. Une rencontre qui dure, qui dure et qui sert à quelque chose au fond (donner un nom au petit humain) mais qui laisse penser que le film est une succession de saynètes écrites sur des post-its collés au milieu de l'odyssée d'Arlo. Une scène, une épreuve, un bonus, et on continue.

 

Les films Pixar du pire au meilleur

Jurassic Toc

Pourquoi Arlo sonne-t-il si toc ? La réponse est peut-être à chercher du côté de sa production. Dans un monde parallèle, on aurait dû voir un film de Bob Peterson (co-réalisateur de Là-haut) dans une société dinosaure évoluée, qui domine la planète Terre à la place de l'homme. Incapable de terminer le film sur une conclusion acceptable, Peterson s'est fait virer et The Good Dinosaur (titre original) a pris un an de retard dans les pattes. Ce n'est pas une première chez Pixar - la dernière fois qu’un film a changé de réalisateur (-trice en l’occurrence, Brenda Chapman) c’était sur le problématique et bancal Rebelle. C’est finalement le quasi débutant Peter Sohn qui a repris le projet, gardant l’idée de l’uchronie, sous-exploitée et qui ne sert plus qu'à justifier la présence simultanée à l'écran d'un dino et d'un humain (et qui fera aussi plaisir aux créationnistes américains persuadés que l'homme a vécu en même temps que les dinosaures). On le répète : Arlo va de toutes façons faire un triomphe ; il se consomme facilement, sa finalité est absolument évidente, son message totalement limpide (« affronte ta peur et tu deviendras grand », à comparer avec la superbe subtilité de Vice Versa qui aura laissé de nombreux enfants sur le bord du chemin), sans jamais de second degré ni de sous-entendus. Et, très peu accessoirement, les dinosaures font vendre (coucou Jurassic World). Les quelques plans sublimes à la fin, qu'on ne spoilera pas, ne changent pas l’impression d’ensemble. Vite consommé, vite oublié, Le Voyage d'Arlo rappelle que Pixar est capable du meilleur et du moins bon.

Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)

Bande-annonce du Voyage d'Arlo :