Si l'on excepte Monsters, c'est votre 1er film, et c'est un film d'horreur. C'était un challenge supplémentaire ?Le challenge c'était déjà de faire un long-métrage ! Je ne sais pas comment ça se passe en France, mais en Australie tu dois convaincre plein de gens : « ok ça va être comme ce film qui a déjà bien marché, ayez confiance ». Du coup c'est casse-gueule de faire quelque chose d'original. J'ai eu la chance que Screen Australia apprécie le script. Ensuite ils se sont basés sur Monsters justement, pour voir ce que j'étais capable de faire. Au final ce court-métrage a beaucoup aidé.Vous vous attendiez à ce succès dans les festivals et ces retours de la presse anglophone ?Pas du tout ! Surtout pour un film d'horreur, la presse et le public sont parfois très durs. Ça m'a surpris, c'est mon 1er film, moi j'y croyais mais... tu n'es jamais sûr. Les réactions à Sundance et les 1ères critiques, c'était tellement gratifiant.Qu'est-ce qui vous attire dans le genre horrifique ?C'est marrant, je ne m'en lasse jamais : j'aime avoir peur. On m'a dit que les amateurs de films d'horreur sont des gens très équilibrés. Donc je me dis ça pour me rassurer, c'est flatteur (rires). Peut-être par rapport au fait qu'on accepte notre part d'ombre. C'est un genre qui se prête parfaitement au cinéma. On peut exploiter des mondes imaginaires, tout ne doit pas forcément être pris au pied de la lettre. J'aime beaucoup l'horreur à ses balbutiements, quand c'était très artistique, avec une sorte de beauté. Des films comme Vampyr de Carl Dryer ou Faust de Murnau. En fait on ne parle même pas de film d'horreur dans leur cas, c'est bien plus. J'apprécie le travail de Polanski à une certaine époque, ainsi que la vague des années 70. J'ai beaucoup d'estime pour John Carpenter et David Lynch, qui pour moi a flirté avec l'horreur. Sans oublier le cinéma italien : Argento et en particulier Mario Bava. Je suis vraiment fan.Les Trois Visages de la peur (Black Sabbath), c'est du grand art.Mais oui ! Il a vraiment créé quelque chose, c'est un univers magnifique, très réussi.Ces influences expliquent un peu pourquoi votre film mise plutôt sur la suggestion.Oui. Parfois il y a un côté frustrant, certains veulent que tout soit évident. Mais je n'aime pas les films où tout est parfaitement clair. Je préfère laisser une part d'ambiguïté. Le spectateur peut se faire sa propre idée : est-ce que le Babadook est un être surnaturel ? Dans la tête de l'héroïne ? Les deux ? C'était volontaire.Pour vous c'était crucial de laisser la porte ouverte à l'interprétation de chacun ?Exactement. En fait hier soir, après la projection, les spectateurs pouvaient me poser des questions. Certains avaient des interrogations très précises. J'ai presque paniqué : je ne savais pas quoi dire ! Pas parce que je n'ai pas la réponse, mais si j'explique, tous ceux qui ont eu une interprétation différente se sentiront idiots, ou arnaqués. Je peux juste dire que ça parle d'affronter l'obscurité, quelle que soit sa signification pour chacun. C'est ça la nature du Babadook, et ça peut parfaitement changer selon le spectateur.Au-delà de l'horreur, vous avez déclaré que c'était une histoire d'amour entre une mère et son fils.En fait, tout ce qui fait peur dans le film vient de cette femme. Parce qu'elle a fait face à une tragédie, et c'est devenu un fardeau pour elle. Ça l'empêche de vivre, d'être présente et aimante avec son fils. Du coup leur relation était centrale pour moi. Je ne peux pas contrôler ce qui va effrayer les gens. Hier soir une fille m'a dit qu'elle avait été très touchée par l'histoire en elle-même, et pour moi c'est bien plus satisfaisant que d'arriver à faire sursauter.Du coup qu'est-ce qui se passe quand quelqu'un a une interprétation totalement à côté de la plaque ?J'essaie de prendre sur moi, et de suivre ma logique : s'ils ont pris le film comme ça et que c'est leur conclusion, ils ont un peu raison. Ça m'est arrivé d'ailleurs. Quelqu'un a eu une interprétation vraiment... très loin de la mienne, intérieurement je criais « pourquoi t'as pensé ça ?! » (rires) mais ce ne serait pas juste de leur reprocher. Et c'est intéressant de voir à quel point ça varie d'une personne à l'autre justement.Si je vous dis que pour moi le film parle du deuil et de l'acceptation de la perte d'un être cher (en l'occurrence le père)...Mais non, c'est complètement faux ! (rires) Pardon c'était trop tentant.(rires) Et vu l'évolution de l'intrigue on peut voir un message assez positif sur le fait d'apprendre à vivre avec.Oui, c'est vrai que c'est inhabituel pour les films d'horreur de finir comme ça... Ce n'est pas non plus un happy end, mais je ne pouvais pas « tuer » cette créature. Ça ne correspond pas à ma vision et à ce que j'ai vécu. Selon moi, pour le tuer, l'héroïne aurait dû se suicider. Elle est à l'origine du Babadook, (ça je peux le dire), il fait partie d'elle, et de son enfant. Du coup elle doit vivre avec. Comme vous l'avez dit, c'est comme dans la vie. Si on a une expérience vraiment tragique, on ne se réveille pas un beau matin en oubliant tout. Ça vous change pour toujours.Le côté symbolique que vous décrivez me fait penser que vous avez mis beaucoup de vous dans cette histoire.Oui. Pas de manière littérale, je n'ai pas perdu un proche de façon violente comme l'héroïne. Mais comme tout le monde j'ai connu des deuils. J'ai essayé d'y faire face du mieux que j'ai pu, parfois j'ai échoué. Je voulais vraiment explorer cet aspect à travers Amelia. C'est terrible ce qui lui arrive. Je comprends pourquoi elle cache tout ça. Mais on ne peut pas fuir éternellement, sous peine de voir sa vie détruite. Certains sombrent dans la drogue ou l'alcool pour ces raisons, parce qu'ils cherchent à échapper à quelque chose d'insupportable. Mais à ce moment on ne vit plus.Du coup l'horreur est ici une sorte de thérapie de choc.(rires) on peut dire ça ! Mais c'est pour ça que ça me touche quand certains me disent qu'ils ont été émus par le film. Un jeune homme de 20 ans m'a expliqué qu'il avait perdu ses parents et que pour lui c'était la représentation du deuil la plus honnête qu'il ait vue. Qu'on a l'impression que personne d'autre ne comprend, que c'est comme une maladie qui force à s'isoler... D'une certaine façon on peut se projeter là-dedans à travers le film.Malgré tout quelques scènes permettent de respirer, avec la voisine âgée ou les services sociaux...C'était vraiment pour ça, pour respirer. Et ça me ressemble bien, de voir l'humour même dans la pire des situations. Si tu as l'impression qu'on t'étrangle, c'est quand même sympa de relâcher la tension de temps en temps ! Sinon c'est trop. Les services sociaux et même la police apportent ce côté un peu étrange dans leur scène, c'est marrant. Et je voulais que tous les personnages de l'extérieur soient vus du point de vue d'Amelia. Donc pas vraiment normaux.Dans un film d'horreur lambda, Robbie le collègue aurait probablement couché avec l'héroïne, avant de mourir dans d'atroces souffrances. Vous ne lui permettez même pas ça, elle reste vraiment seule tout le long.Exactement ! (rires) Je l'ai toujours vue comme quelqu'un qui se noie, qui cherche un signe de vie désespérément, qui croit en voir mais au final ça disparaît. C'est d'ailleurs ça qui explique sa relation avec sa sœur. C'est Amelia qui la repousse. Pour Robbie, son collègue, c'est le même principe. Il ne pouvait pas venir et la sauver, pas plus qu'il ne pouvait coucher avec elle et se faire tuer. Mais après les événements du film, qui sait ?Quand Samuel se défend face à sa mère possédée, il va assez loin. On dirait presque une version bad-ass de Kevin McAllister.Dans Maman j'ai raté l'avion ? Je ne l'ai jamais vu. Mais Samuel est dangereux, dans le 1er acte c'est carrément lui l'antagoniste, c'est lui que sa mère « combat ». Il est mignon, mais en même temps on veut l'éliminer, parce qu'il est angoissant. C'était important qu'il soit dangereux dans l'intrigue. Il fabrique quand même une arme qui lance des espèces de dards à l'école ! Il fallait qu'on arrive à croire qu'un gosse de son âge puisse faire ça.Comment avez-vous travaillé avec Noah Wiseman, le jeune acteur ?D'abord il pensait qu'il allait à un cours de théâtre. Par exemple au début il ne comprenait pas pourquoi il devait refaire plusieurs fois une scène. De son point de vue, ça voulait dire qu'il était mauvais ! C'est vraiment devenu un acteur durant le tournage. A la fin c'était un pro. Je me suis assurée dès le début qu'il comprenne l'histoire du Babadook : je lui ai raconté une version de l'histoire un peu différente vu son âge, mais le concept était là. Du coup il n'était pas paumé. On l'a protégé, mais il était au courant qu'Amelia tentait de tuer Samuel. Sa mère est une psychologue pour enfants, je lui ai d'abord demandé ce que je pouvais lui dire ou non. Quand il a vu la 1ère moitié du film (pour l'autre il est encore trop petit), il était vraiment fier.Finalement, Mister Babadook est un peu l'anti Wolf Creek, pour rester dans le cinéma d'horreur australien.Oui. Cependant il y a un point commun : on prend notre temps pour mettre en place l'action (je parle du premier Wolf Creek). Les personnages sont d'abord bien développés, et après seulement l'horreur intervient. Il se passe bien 45 minutes sans que rien ne se passe, et je pense que c'est ce qui a contribué à son succès. Dans plein d'autres slashers, on se fout complètement des héros, c'est moins efficace. Tuez-les tous, qu'est-ce que ça change ? (rires).Ironiquement, le passage le plus impressionnant du film, c'est le retour du livre.C'est vrai que ça fait un peu « la revanche des livres ». Je ne me suis pas demandé si j'allais piocher dans des éléments d'horreur moderne ou au contraire privilégier le classique, j'avais juste une idée de départ et j'ai essayé de l'illustrer au mieux. Ce concept engendrait une certaine atmosphère, ça ne sonnait pas trop contemporain à l'arrivée. J'ai suivi mon instinct.Vous diriez qu'il y a un style australien dans l'horreur ?Pas vraiment. Vous trouvez ? Je pense que c'est trop tôt. Mon film a plus de points communs avec l'horreur des 70's. Je ne sais pas si on a tant que ça une tradition de films d'horreur chez nous... On est loin derrière les États-Unis !Bizarrement, le look du Babadook m'a rappelé Freddy Krueger.J'ai vu Les Griffes de la nuit quand j'étais petite. J'étais terrifiée, l'idée qu'il apparaisse quand on dort... J'adore le 1er film, c'est du génie. Ce n'est pas une référence directe mais je pense que c'est un peu rentré dans mon ADN, parce que je l'ai vu jeune. Peut-être qu'inconsciemment, le Babadook a un côté Freddy.C'est vrai qu'il y a aussi l'idée du croquemitaine ultime.C'est carrément un croquemitaine, si on regarde bien le Babadook, on ne voit jamais de peau. De façon à ce que son visage puisse être un masque, ses cheveux une perruque, etc. C'est un peu comme un démon qui s'amuserait à singer un humain. D'où la réplique « quand tu verras ce qu'il y a en-dessous tu regretteras de ne pas être morte ». Du coup le haut du corps peut ressembler à Freddy, tandis que le bas du corps, c'est quelque chose qu'on ne voit jamais, à dessein.Puisque vous évoquiez Carpenter : le look général mais aussi les sons du Babadook sonnent assez kitsch.Je voulais qu'il ait un aspect kitsch, c'était délibéré. Un peu comme les Méliès, quand on les regarde aujourd'hui on peut voir comment ils ont été élaborés, j'aime cette idée. Le Babadook arrive via un livre pour enfant, et je voulais qu'il sonne comme quelque chose fabriqué à la main. Pas quelque chose de sophistiqué, avec des CGI... J'aime ce côté old school. Vous vous souvenez du film The Thing ?Bien sûr, c'est presque insultant de poser la question.(rires) Eh bien vous voyez, les effets spéciaux ont beaucoup vieilli maintenant, on est capable de faire bien mieux. Pourtant je préfère ce qu'on voit dans The Thing. Étrangement je trouve ça plus « vrai ».La comparaison avec la version de 2011 va dans votre sens.Et en plus c'était malgré tout plus clair à l'époque ! On comprenait bien comment « la chose » fonctionnait : ça infectait des gens qui n'étaient plus eux-mêmes à partir de là. Dans le reboot, c'est très bizarre, on a parfois l'impression qu'ils ne savent pas eux-même qu'ils font partie du monstre, c'était assez confus... « Comment détruire un classique », quoi.Propos recueillis par Yérim SarBande-annonce de Mister Babadook, au cinéma ce mercredi :