Rencontre avec la cinéaste, auteur avec Jusqu’à la Saint- Molart du court le plus gonflé de la collection diffusée sur Canal + depuis lundi.
Pour la collection 6 x Confiné.e.s, six cinéastes racontent chacun ce que cette situation leur inspire, dans un court de 20 minutes. Et parmi ceux- là, Alice Moitié se distingue tout particulièrement avec Jusqu’à la Saint-Molart où elle met en scène une it-girl parisienne (formidablement incarnée par Ludivine Sagnier), issue d’un milieu modeste qu’elle a renié, qui vient passer un week-end en famille où elle va apprendre qu’elle a été violée enfant. De cette tragédie violente, Alice Moitié fait une comédie cocasse sur la notion de traumatisme Le geste est gonflé et malaisant donc passionnant.
Première : Jusqu’à la Saint-Molart est votre premier court métrage. Comment est née votre envie de faire du cinéma ?
Alice Moitié : Plus jeune, j’avais envie de faire de la BD. En fait, ce que j’aime, c’est raconter des histoires. Je suis arrivée à l’image par la photo – qui constitue aujourd’hui mon principal gagne- pain – puis j’ai fait du clip et de la pub. Je m’apprêtais à réaliser mon premier court… qui est précisément tombé à l’eau à cause de la COVID. J’étais donc un peu déprimée quand le producteur Elias Belkeddar est venu me parler de ce projet 6 x Confiné.e.s en me laissant carte blanche sur le sujet de mon choix autour du confinement. Et évidemment j’ai tout de suite été partante.
Comment vous est venue l’idée de Jusqu’à la Saint-Molart ?
J’ai tout de suite eu plusieurs idées en tête. Et je suis partie sur celle qui m’a été inspirée par les nombreuses migrations de Parisiens de retour chez leurs parents pour y passer le confinement. Et j’ai développé le personnage d’une jeune femme échappée de son milieu non sans mal qui, rentrant chez elle avec plein de bonnes intentions mais beaucoup d’arrogance, va voir ce moment se retourner contre elle, bien malgré elle.
Un sujet que vous allez traiter par le prisme de la comédie noire. Pourquoi ce choix ?
Ce sujet ne se prête pas spontanément à la comédie. C’était à moi de la faire naître. Par le ton du récit. Mais aussi par cette idée centrale de ce personnage qui n’a plus aucun souvenir du traumatisme violent dont elle a été victime, affublée de ce statut sans en ressentir les troubles a l’impression en quelque sorte de perdre le « privilège » qui va avec. Je tenais à parler de cette notion de victime et essayer de montrer que ce mot ne suffit pas à définir celles qui le sont.
QUE VAUT 6X CONFINE.E.S SUR CANAL+ [CRITIQUE]Ce n’est pas simple de s’emparer d’un sujet où il n’y a que des coups à prendre et votre film fonctionne, dérange parce que précisément vous allez au bout de votre idée…
Pour moi, il ne faut pas sacraliser cette notion de victime. Il ne faut jamais oublier à quel point les abus, les viols… sont choses courantes. Et que chaque histoire est différente de l’autre. Derrière le mot victime, il y a donc des milliers de situations différentes. Mon film en raconte une à travers ces questions : comment peut-on se libérer d’un tel traumatisme quand il n’a pas eu d’impact conscient ? Qu’est ce qu’on fait avec cette révélation ? Quels sont les impacts sur soi et ceux qui vous entourent ?
La famille est l’autre point central de votre film avec cette jeune femme dont on sent bien qu’elle a tout fait pour fuir son milieu d’origine dont elle a un peu honte. Et là encore l’humour est grinçant voire malaisant…
J’adore les histoires de famille, les confrontations de milieu. Ce court me permet en effet de parler d’ascension sociale. Le court que je devais tourner abordait aussi ce sujet. Mais avec Jusqu’à la Saint- Molart, j’ai pu aller plus loin. Notamment à travers le personnage de la sœur de mon héroïne qui, elle, est restée vivre dans ce milieu dont elle s’est extirpée. Et chez qui j’ai aimé imaginer une jalousie inconsciente car horrible avec cette idée que même cette histoire de viol arrive à sa sœur qui a déjà tout…
Pourquoi avoir choisi Ludivine Sagnier pour le rôle central de Jusqu’à la Saint-Molart ?
Sur le papier, ce rôle peut avoir un côté agaçant. Je voulais donc une actrice qui puisse être touchante et attendrissante. Ludivine me semblait parfaite pour ça. J’ai demandé à un ami d’ami de lui faire passer le scénario. Elle a aimé. On s’est rencontrés. Elle m’a posé plein de questions qui ont aidé à améliorer le court
Qu’est-ce qui vous a le plus séduit dans cette première expérience ?
Le travail avec les comédiens. C’est évidemment un peu stressant au moment de la première lecture. Mais j’ai été gâtée. A la fois par la qualité de leur interprétation mais aussi leur implication, leur capacité à comprendre où je voulais les amener.
Qu’avez-vous prévu pour la suite ?
J’aimerais passer au long et j’ai déjà une idée. Et la seule bonne chose de cette pandémie est de laisser du temps pour y penser. C’est un marathon qui commence mais portée par cette première expérience, je m’y sens prête.
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