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Bienvenue à Suburbicon, le sixième long-métrage signé George Clooney, pourrait s’appeler Bienvenue à Charlottesville. L’acteur-réalisateur n’avait certes pas pu prédire les récentes éruptions de haine raciale en Amérique, mais impossible de ne pas penser à celles-ci quand, dans les premières minutes du film, on voit une famille noire emménager dans l’idyllique petite bourgade de Suburbicon, à la fin des années 50, et déclencher par leur simple présence la colère de leurs voisins blancs, qui sortent aussitôt les fourches et les drapeaux confédérés… Toute ressemblance avec l’actualité la plus brûlante ne serait certes qu’une pure coïncidence. Mais soulignerait également encore plus la dimension anti-Trump du film.
Deux veines
A l’origine, Clooney souhaitait raconter une histoire vraie, survenue à Levittown, Pennsylvanie, en 1957, une page d’histoire oubliée où des Blancs s’étaient opposés à l’installation d’une famille noire dans leur quartier. Mais, ne parvenant pas à trouver le bon angle d’attaque pour en tirer un scénario digne de ce nom, il s’est souvenu d’un vieux script des frères Coen, Suburbicon, que le duo était censé mettre en scène à la fin des années 90, puis avait fini par abandonner. Et c’est ainsi que la dissertation du citoyen Clooney sur le fossé racial en Amérique s’est métamorphosée en comédie zinzin dans la veine de Blood Simple et Fargo, avec héros crétins, tueurs bas du front, arnaque à l’assurance, échos néo-noir et violence cartoon. De fait, Bienvenue à Suburbicon pâtit un peu, dans sa première partie, de la greffe entre ces deux veines. Comique ou sérieux ? Insouciant ou « concerné » ? Le film se cherche, et on a du mal à comprendre où veut en venir Clooney. Puis la petite mécanique coenienne se met en place pour de bon, une horlogerie qu’on connaît certes par cœur (Joel et Ethan doivent avoir chez eux des armoires entières remplies de ce genre de script) mais qui, quand elle est huilée comme ici, procure un plaisir monstre.Combines lamentables
Toute l’histoire est racontée à travers les yeux d’un garçon de dix ans, observant le sordide ballet des adultes autour de lui : les cinglés racistes qui hurlent leur haine dans le jardin d’à côté, et la bande de minables qui lui tient lieu de famille, en train de s’engluer dans leurs combines lamentables. On pourrait ainsi résumer le film de deux façons. Version Clooney : c’est l’histoire d’un enfant qui comprend que le rêve américain est un mensonge. Version Coen, plus prosaïque : c’est l’histoire d’un enfant qui comprend que son père est un connard. Le paternel en question est joué par un Matt Damon saisi ici à son maximum de bonhomie hébétée, toujours absent, ailleurs, occupant l’espace comme son personnage de The Informant !, à la fois massif et transparent. Où l’on constate que l’adorable Damon joue vraiment très bien les sales types. Tous les acteurs ont de toute façon l’air de s’amuser comme des petits fous, de Julianne Moore dans un double rôle de sœurs jumelles (après Ewan McGregor dans la saison 3 de Fargo et James Franco dans The Deuce, c’est la grosse tendance du moment) à Glenn Fleshler (le Yellow King de True Detective !) en tueur sadique. Mais rien ne vaut l’extraordinaire apparition d’Oscar Isaac en détective moustachu sorti tout droit d’un roman de James M. Cain, qui vole le show en deux scènes et insuffle une énergie démentielle à la dernière demi-heure. A la Mostra de Venise, où le film a été présenté, Clooney a loué lors de la conférence de presse le charisme et la précision de jeu d’Isaac, tout en expliquant que ce rôle lui aurait échu, si les Coen avaient tourné le film à l’époque. Difficile de s’empêcher d’essayer d’imaginer à quoi aurait ressemblé la version des frangins… Est-ce que ça aurait été un grand ou un petit Coen ? En l’état, en tout cas, c’est un bon Clooney.