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Balzac, terreur des collégiens accablés sous les poids de ses descriptions, est très soluble dans le cinéma. Pour preuve, après Eugénie Grandet de Marc Dugain le mois dernier, voici Illusions perdues de Xavier Giannoli, déboulonnage en règle du petit monde du journalisme parisien sous la Restauration. La grande question à chaque adaptation est bien-sûr de pointer l’actualité criante du texte. Giannoli n’y va pas par quatre chemins et use d’une voix-off omniprésente pour asséner l’adage du « tous pourris » traversant les siècles. C’est édifiant forcément et bien malin celui qui pourrait lui apporter la preuve du contraire. Rappelons que Marguerite, son opus précédent, voyait déjà une naïve trop généreuse obtenir les faveurs de pique-assiettes. Giannoli est tiraillé par cette notion du paraître qui peut voir un chanteur de bal, un bon bougre ordinaire ou encore un escroc tragique, se prendre les pieds dans la lumière artificielle du réel. Le cinéaste lui-même, serait-il un peu de ceux-là, la fiction lui permettant par un jeu de miroir de remettre un peu les choses à l’endroit ? Si Illusions Perdues est un film passionnant, il le doit moins à la prose réinventée de Balzac qu’à la force de son inspiration de cinéaste. La mise en scène impressionnante de maîtrise construit et déconstruit dans un même geste un solide édifice dans lequel le monde, devenu théâtre, est peuplé de fragiles marionnettes. On soulignera enfin la prestation tout en finesse de Benjamin Voisin, formidable dans la peau de Lucien de Rubempré, jeune homme (é)perdu sur lequel se cristallise toutes nos illusions.