Entre deux opus de Mad Max, le géant australien s’interroge sur le pouvoir des histoires en compagnie de Tilda Swinton et Idris Elba.
Qui d’autre que George Miller pouvait réaliser un film centré sur un personnage d’experte en narratologie ? Avec son look de professeur d’université malicieux, ses nœuds pap’ désuets et ses lunettes fantaisie, on imagine très bien Miller lui-même donner des conférences aux quatre coins du monde sur les mythes, les sortilèges des grands récits collectifs, notre soif inextinguible d’histoires et de fiction. C’est en tout cas l’activité à laquelle s’adonne l’héroïne de Trois mille ans à t’attendre, Alithea Binnie (Tilda Swinton), intellectuelle anglaise invitée à un colloque à Istanbul, où elle analyse le conflit entre l’ère des récits mythologiques et celle des récits scientifiques, dans laquelle nous vivrions aujourd’hui - mais peut-être que la réalité est plus complexe que ça...
Après l’achat d’une babiole lors d’une visite touristique du Grand Bazar, elle va réveiller un Djinn (Idris Elba) endormi depuis de longues années. Celui-ci, comme il se doit, propose à Alithea d’exaucer trois de ses vœux. Mais elle refuse, dans un premier temps, car elle sait que, dans les contes, les histoires de vœux finissent mal en général. Le Djinn en profite alors pour lui raconter son parcours extraordinaire au fil des siècles, depuis la cour de la Reine de Saba jusqu’au palais ottoman de Soliman le Magnifique.
George Miller, qui a fracassé le cinéma contemporain en 2015 avec Mad Mad : Fury Road et doit incessamment retourner dans le Wasteland pour le prequel Furiosa, marque ici un temps d’arrêt, fait le contraire de ce qu’on attend de lui (sachant qu’il a passé sa carrière à élever cet amour du contre-pied au rang des beaux-arts) et signe une fable réflexive sur son art de storyteller, sur la façon dont les histoires qu’on se raconte structurent notre rapport au monde, sur la fiction comme puissance de réenchantement. Généralement intéressé par les personnages qui s’élancent dans le monde pour l’affronter ou le déchiffrer (de Max Rockatansky au pingouin d’Happy Feet), il s’amuse ici à faire tenir tout le monde, toute l’histoire du monde, entre les quatre murs de la chambre d’hôtel exigüe où a lieu la conversation érudite entre la prof et le génie.
Mais ce dispositif théâtral est constamment brisé par des flashbacks au parfum de Mille et une nuits : le film voyage dans un monde féérique, au kitsch joyeux, évoquant l’orientalisme naïf des productions hollywoodiennes de l’âge d’or. Le trip (car c’en est un) a beau être imaginé par un vieux sage aux préoccupations intellectuelles de haute volée, il est surtout guidé par un esprit aventureux, espiègle, ludique, sensuel et charnel. Les histoires racontées par le Djinn sont serties de visions fantastiques, enivrantes, barrées, parfois hallucinantes (le passage des siècles raconté en une poignée de minutes, en suivant simplement le destin d’un flacon jeté au fond des mers), portées par un montage super fluide, qui fait écho à l’agilité intellectuelle des personnages, dont la joute verbale vire, en cours de route, au flirt amoureux.
Conte philosophique se métamorphosant en love story magique, Trois mille ans à t’attendre est un grand film-somme en même temps qu’un petit film-essai, cherchant à contenir tout l’art de son auteur dans une forme à la fois ramassée et libérée, contenu et délirante, modeste et grandiose. Un film en chambre pour synthétiser tout l’art de George Miller, comme on enferme un génie dans une bouteille.
Trois mille ans à t’attendre, de George Miller, avec Tilda Swinton, Idris Elba… Hors compétition. Au cinéma le 24 août.
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