Maladroit et mal fichu, le nouveau Paul W.S. Anderson n'est pourtant pas dénué d'une certaine (et jolie) poésie nanarde.
En 1975, George R.R. Martin, 27 ans, qui n'avait pas encore écrit une ligne du Trône de fer, ni même aucun roman, publiait dans un recueil "...Pour revivre un instant". Une très belle nouvelle où, dans un monde post-apocalyptique, les survivants d'une communauté vaguement hippie carburaient à une drogue leur permettant de revivre des moments du passé. Leur nouveau chef décide d'utiliser la substance pour apprendre des compétences utiles (médecine, mécanique), tandis que le troubadour du groupe préfère s'étourdir à jamais dans la nostalgie des choses d'avant. Utilitarisme contre romantisme, en somme : Martin réussissait en quelques pages à nous coller et le vertige, et le bourdon, dès son titre original, "...For A Single Yesterday", tiré des paroles de Me And Bobby McGee de Kris Kristofferson : "I'd trade all of my tomorrows for one single yesterday". Cinquante ans plus tard, Le Trône de fer est devenu une IP mondialement rentable. Le nom de George R.R. Martin est aussi connu que celui de J.K. Rowling ou que Tolkien. En relisant "...Pour revivre un instant", on pense à l'état de l'entertainment américain, aux mêmes franchises éternellement continuées et remakées par les géants de l'industrie, où l'on retourne dans le passé seulement pour en tirer un profit. Oui, les mauvais jours, on se dirait bien qu'on échangerait effectivement tous nos lendemains pour un seul hier.
Quel rapport avec In the Lost Lands ? C'est écrit en gros sur l'affiche : le film est adapté d'une nouvelle de George, publiée dans une anthologie de SF en 1982 (et disponible dans le recueil Dragon de glace chez ActuSF en 2011). Il ne s'agit pas ici de juger l'écart entre ce texte méconnu et ce film, ce qui n'intéresserait sûrement que les complétistes les plus pointilleux, mais bien de voir le nouveau film de Paul W.S. Anderson. Et In the Lost Lands est bel et bien un film de Paul W.S. Anderson. Impossible de se gourer. Sur son blog, George R.R. Martin faisait la promo du film en le qualifiant de "dark and twisted and atmospheric, and a lot of fun." C'est peut-être bien vrai, mais honnêtement, George, il manque des mots à votre description.

Nous sommes sur une Terre post-apocalyptique, la preuve par ses grands décors projetés sur fond vert avec des buildings en ruine et des porte-containers échoués dans le sable. La reine d'une communauté dominée par des templiers (donc religieux et fanatiques) charge une sorcière de lui ramener la peau d'un loup-garou. Accompagnée de l'amant de la Reine, un ranger-pistolero (Dave Bautista, carré mais sous-exploité), elle va traverser les Contrées perdues à la recherche de la bête tandis que le Patriarche envoie ses troupes à leur recherche. Comme c'est Anderson, il y a des ralentis, des gros plans du visage de Milla Jovovich (oui, Anderson continue de filmer sa femme comme il le fait depuis Resident Evil en 2002 : belle et bastonneuse), des scènes impossibles qui envoient valser les notions toutes bêtes de raccord et de cohérence -comme ce combat des héros sur une carcasse de bus suspendue au-dessus du vide, face à des dizaines de combattants surgis d'on ne sait où. Ou cette scène où la méchante Templière porte avec fierté une paire de Ray-ban pour se protéger du regard magique de la sorcière. Ou ce script mal fichu, avec un loup-garou et des zombies radioactifs, qui enquille des twists bizarres, sacrifie des personnages d'un instant à l'autre, répète ad nauseam les mêmes scènes de cavalcade sur soleil couchant, et aligne les répliques WTF ("cette salope a tué mon serpent !", instantanément culte).
Fatalement, In the Lost Lands finit par dégager une étrange poésie nanarde. C'est Avalon de Mamoru Oshii bombardé de lens flares comme un J.J. Abrams des années 2010. C'est un Fallout premier degré qui dure 1h41. C'est un DTV sur grand écran à l'ambition minuscule et c'est tout cela qui cause sa perte et fait son charme. Alors qu'on a doublement (voire quadruplement, puisqu'on a vu les deux films ET la version unrated) détesté le Rebel Moon de Zack Snyder sur Netflix, cela pourrait peut-être vous paraître hypocrite de notre part. Mais il y a une grosse différence entre le space opera de Snyder et le post-apo d'Anderson, c'est celle qui sépare le pompeux de la sincérité, et le navet du nanar. Le propos libertarien et celui de la toute-puissance de l'image irriguait et écrasait tout dans Rebel Moon. Anderson, lui, ne cherche pas à vendre une quelconque vision de la société. Il veut simplement peindre une histoire d'amour envers et contre tout -les fonds verts, l'écriture, la direction d'acteurs. In the Lost Lands n'est pas un film utile, non, mais personne ne lui a demandé de l'être. On y revient : dans "...Pour revivre un instant", face à la fin du monde, l'utilitariste accepte que l'on retourne dans le passé seulement si cela a une utilité, tandis que l'idéaliste préfère revivre encore et encore ses histoires d'amour -quitte à se suicider à la nostalgie. Qui a raison, qui a tort ? On ne force personne, mais décidément, alors que le monde s'effondre, on n'échangerait pas tous nos lendemains pour la poésie nanarde d'hier.
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