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Les Experts : quel héritage ?

Pics à 30 millions de téléspectateurs

<p>Il était évidemment plus que temps pour le vaisseau-amiral de la franchise <em>CSI</em> de faire ses adieux et d’emboîter le pas de ses spin-off Miami et Manhattan, respectivement annulés en 2012 et 2013. Avec pas loin de 800 épisodes au compteur, toutes séries confondues, la formule établie en 2000 faisait du surplace depuis trop longtemps avec sa structure immuable à chaque épisode : les super-légistes analysent les indices découverts sur des scènes de crime, manipulent becs bunsen et pipettes au labo dans des séquences clipées, autopsient face caméra les pauvres victimes à la morgue, confrontent les suspects qui craquent immédiatement face à la toute-puissance de LA PREUVE SCIENTIFIQUE, on les embarque, générique de fin. Les audiences avaient fini par s’en ressentir avec en moyenne 8 millions de fidèles la saison passée. Rien de honteux mais un chiffre absolument incomparable à ceux des années faste de la série. Car il y a de cela 10 ans, <em>Les Experts</em> caracolaient seuls en tête des audiences télé, intouchables. Un phénomène de masse suivi par 25 millions d’Américains lors de sa quatrième saison avec des pics à 30 millions. Autres temps, autres mœurs mais <em>Empire</em>, le carton de 2015, plafonne (pour l’instant) à 17 millions… En France, où Las Vegas fut toujours moins regardée que ses petites sœurs, les séries de la franchise <em>CSI</em> aussi tutoyèrent les sommets avec des pointes à 11 millions de téléspectateurs. Elles furent vraiment le pied dans la porte des télés du monde entier, prélude à l’invasion de ces dernières par les séries américaines.</p>

La patte Bruckheimer

<p>Le légendaire producteur <link node_id="1524016">Jerry Bruckheimer</link> n’en espérait pas moins quand il décida en 2000 de porter à l’écran le script d’un scénariste débutant nommé Anthony Zuiker, ancien chauffeur de véhicules touristiques à Las Vegas. A l’époque, Bruckheimer est le roi du box office ciné avec ses <em>Armageddon</em> et autres <em>Bad Boys</em> mais n’a encore rien prouvé sur le petit écran. Il a depuis largement fait son beurre dans les séries (<em>FBI : Portés disparus</em>, c’était lui aussi, <em>Cold Case</em>…). Mais du temps où <em>Les Experts</em> relevait encore du projet, il fallut du flair pour déceler le potentiel spectaculaire de cette histoire d’enquêteurs très nerds occupés à scruter l’infiniment petit plutôt qu’à courir arme au poing après les bad guys. Épaulé par le réalisateur <link node_id="98751">Danny Cannon</link>, avec pour modèle revendiqué <link node_id="80367">Michael Mann</link>, Bruckheimer sut proposer un divertissement aux ambitions visuelles qui dénotaient dans un médium du texte fonctionnant encore à l’économie, largement axé sur les dialogues et les plans rapprochés. Approche validée par <link node_id="97698">Quentin Tarantino</link> qui, en fan déclaré  de la série, en réalisa un double épisode "claustrophobe" en 2005.  Ou par la décision de TF1 de remplacer un temps le film du dimanche soir par une fournée d’épisodes labellisés <em>CSI</em>.</p>

Contribution industrielle considérable

<p>L’horizon de blockbuster télé visé, somme toute assez naturellement, par Bruckheimer, n’est sans doute pas ce qui vieillira le mieux dans <em>Les Experts</em>. La surenchère techno à l’écran paraît déjà ringarde aujourd’hui. Alors dans 10 ans... Le risque est grand qu’elle soit réduite à son emballage un peu clinquant, quand bien même elle est plutôt finement écrite, infiniment mieux en tout cas que ne pourraient le laisser penser les déclinaisons Miami et Manhattan. Parmi ses scénaristes occasionnels, on retrouve notamment le romancier <link node_id="1495415">Jerry Stahl</link> (<em>Permanent Midnight</em>), auteur de quelques-uns des meilleurs épisodes. Taillée sur le patron de <em>Mission : Impossible</em>, <em>Les Experts</em> a toujours valu par son collectif de personnages - avec chacun sa spécialité - et de comédiens, traités à égalité. Petersen n’est pas <link node_id="98174">David Caruso</link>, le cabot en chef de Miami, et ses successeurs à l’antenne non plus, que ce soit <link node_id="98697">Laurence Fishburne</link> ou <link node_id="79588">Ted Danson</link>, arrivé en 2012. Restera en tout cas un divertissement tout à fait honorable, à l’impact pop-culturel bien moindre que certaines de ses contemporaines plus ambitieuses comme <em>Lost</em> ou les séries du câble type <em>Breaking Bad</em>. En termes industriels en revanche, sa contribution est considérable. En participant largement à créer et nourrir une appétence globale du public pour les séries, au moment où la télévision commençait à se désintéresser de la fiction au profit de la télé-réalité, elle aura favorisé la maturation de cette forme artistique en attirant puis retenant les annonceurs, les investissements des chaînes et les talents. Et ce, tout au long de la décennie 2000. Voire même au-delà, puisque, petite précision, si c’est fini pour <em>Les Experts</em>, ce n’est pas tout à fait le cas de la franchise <em>CSI</em>. La saison passée, CBS a lancé une nouvelle déclinaison intitulée <em>CSI : Cyber</em> qui  est toujours à l’antenne avec dans les rôles principaux <link node_id="97206">Patricia Arquette</link> et Ted Danson, transfuge de Las Vegas. Increvables <em>Experts</em>...</p>

Produit d'exportation

<p>On l’a un peu oublié, mais il y a encore 10 ans, les séries américaines à l’exception d’un <em>Urgences</em> ou d’un <em>X-Files</em> étaient rarement diffusées en prime time chez nous. Avant 2005, TF1 était d’abord la chaîne de <em>Navarro</em> et <em>Julie Lescaut</em>. Avec <em>Les Experts</em> puis, bientôt, <em>Dr House</em>, elle transforme son antenne en succursale française des chaînes US. La grande gagnante s’appelle CBS, maison-mère des <em>Experts</em> et de ses dérivées, mais aussi de <em>FBI Portés disparus</em>, <em>Esprits Criminels</em> ou <em>NCIS</em>. Grissom and co lui permettront de ravir à NBC la couronne, jamais rendue depuis, de network numéro 1 aux États-Unis. Mais ses concurrentes aussi, de même plus largement que toute l’industrie du divertissement US (studios de cinéma et chaînes de TV marchent main dans la main) ont gagné à ce renouveau du polar télé grand public amorcé par <em>Les Experts</em>. La demande mondiale pour des saisons de 24 épisodes de séries aux intrigues bouclées en 52 minutes, diffusables dans le désordre si besoin, ne s’est depuis pas tarie. Hollywood s’est en fait ouvert un deuxième marché mondial de masse après celui du cinéma.</p>

Les Experts : quel héritage ?

Quinze ans après leurs débuts, Les Experts se concluent ce dimanche avec la diffusion d’un téléfilm. Presqu’un non-événement alors que  la série fut longtemps la reine des audiences… Elle aura pourtant fait bien plus que simplement populariser le travail de la police scientifique.Ce week-end, Gil Grissom, le Sherlock Holmes des tables de craps, mènera sa dernière enquête pour le compte de la police de Las Vegas. Euh, comment ça, "dernière enquête" ? Le personnage n’était pas déjà rangé des voitures depuis au moins 6 saisons ? Si mais en fait pas complètement, car William Petersen, son emblématique interprète, n’a jamais vraiment coupé le cordon. Resté producteur, il est même revenu hanter la série à intervalles réguliers le temps de brefs caméos. Mais cette fois, promis, la quille, c’est pour de bon ! Dans le double épisode ou téléfilm Immortality, commandé par CBS pour faire office de conclusion à la série (en lieu et place d’une saison 16), Petersen reprendra du service pour la toute dernière fois. Tout comme son ancienne partenaire Marg Helgenberger qui joue Catherine Willows et qui avait, elle aussi, pris ses distances depuis la saison 12. Au prétexte d’une intrigue voyant Las Vegas secoué par une succession d’explosions, les vieilles gloires du casting sont donc réunies pour jeter une poignée de terre sur le cercueil des Experts. Bon débarras soupireront, soulagés, de nombreux téléspectateurs étonnés que le show soit encore à l’antenne en 2015. Mais quoi qu’on pense de la série, de sa réalisation tape à l’œil, de ses filtres verts envahissants, de ses travellings aériens sur la skyline de Vegas et de ses plans-endoscopies signature dans les boyaux des victimes, impossible de nier la marque que laissera Les Experts sur la télévision et son apport dans la révolution industrielle connue par les séries au cours des années 2000.Par Grégory Ledergue