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Les Revenants : la lumière au bout du tunnel

Le fantastique, ce no man’s land français

<p>Le concept de showrunner, la télévision française essaie pourtant depuis au moins dix ans de s’y mettre. Sans vraiment trouver comment l’incorporer à une "industrie" encore très artisanale. Canal+ en est encore à tâter le terrain, désireuse de raccourcir les délais de livraison entre les saisons notamment pour satisfaire aux standards d’exportation. D’où ce statut accordé à Eric Rochant sur <em>Le Bureau des Légendes</em>, pour encadrer des scénaristes et garantir qu’une saison 2 soit diffusable dès 2016, soit un an après la diffusion de la saison 1. Mais les séries d’espionnage et les polars, à Canal+, on commence à en avoir une bonne expérience. Sur <em>Les Revenants</em>, c’est une autre affaire. Des feuilletons fantastiques, la chaîne n’en avait jamais produit. Et de fait, en France, depuis les dramatiques de l’ORTF type <em>Belphégor</em> ou <em>La Brigade des Maléfices</em>, la télévision avait à de rares exceptions près déserté le genre. Il a donc fallu à Fabrice Gobert y aller en douceur en restant le plus terre-à-terre possible au départ. Pas question de faire des morts-vivants des monstres à la <em>Walking Dead</em>. Pour autant, les revenants de la série assez inoffensifs jusque-là, sont toujours restés parés d’une aura de menace, par exemple via la faim insatiable dont ils semblent affligés quand ils refont surface ou via le passé cannibale de Serge, le serial killer joué par Guillaume Gouix. Une manière habile de jouer avec les codes du genre et avec les canons établis par George Romero. Et la question de la dangerosité des morts se fait plus pressante en saison 2. Désormais, Gobert et Fouché peuvent se laisser aller à des explications moins rationnelles aux événements dépeints. Avec plus ou moins de réussite comme le tour de passe-passe employé pour justifier que leur jeune mort-vivant Victor, ait vieilli en même temps que son interprète, l’excellent Swann Nambotin, désormais pré-ado… L’ambition néanmoins est là, avec par exemple l’exploration d’une deuxième temporalité, 35 ans plus tôt, par l’entremise de flashbacks tantôt éclairants, tantôt déroutants. Le temps s’écoule différemment dans l’univers des <em>Revenants</em> et c’est somme toute logique que ces flottements aient fini par contaminer la production de la série. Trois ans, c’est  long mais c’est pas la mort non plus.Surtout pour un tel résultat.</p>

Les Revenants : review de la saison 2

Auteur plus que showrunner

<p>La série emprunte visuellement et thématiquement beaucoup à la fiction américaine, avec par exemple cette emphase rare chez nous misant sur la notion de communauté. Impossible de la regarder sans songer à <em>Twin Peaks</em> et surtout <em>Lost</em>, avec par exemple un Pierre (Jean-François Sivadier), le leader des citoyens ayant choisi de prendre les armes contre les revenants, tirant de plus en plus du côté de Ben Linus, le chef des Autres dans le feuilleton ABC. Oui, mais <em>Les Revenants</em> n’est pas une série américaine et n’est pas du tout élaborée dans les mêmes conditions : ici, pas d’escouade d’auteurs réunis en writing room productiviste. Gobert et sa partenaire d’écriture Audrey Fouché (formée par Tom Fontana sur <em>Borgia</em>) ne se sont fait aider que par deux autres plumes (Coline Abert et Fabien Adda).Il y a un peu de coquetterie de la part de Canal+ à avoir renommé la saison en "chapitre 2". En même temps, <em>Les Revenants</em> s’écrit sans doute plus comme un roman que n’importe quelle autre prod télé. La présence dans le staff en saison 1 d’Emmanuel Carrère ne disait pas le contraire. Et puis, à la différence de ce qui se fait aux Etats-Unis, Gobert s’inscrit moins dans une tradition de showrunner à la fois scénariste et producteur, que dans celle de l’auteur à la française, réalisateur et scénariste. Un peu à la manière d’un Hervé Hadmar (<em>Pigalle la nuit</em>, <em>Les Témoins</em>).Venu du long-métrage (<em>Simon Werner a disparu</em>), Gobert met en scène la série avec Frédéric Goupil, et sa vision se retrouve au moins autant dans le texte que dans les images. <em>Les Revenants</em> saison 2 regorge comme la précédente de compositions sidérantes avec les quartiers inondés qu’il faut désormais traverser pour rejoindre le camp retranché des revenants, en naviguant entre les lampadaires : un Achéron, fleuve du chagrin, qu’on franchit en radeau ou en se jetant simplement à l’eau.</p>

Deux ans d’écriture

<p>Ce qui frappe de prime abord, c’est à quel point en trois ans, on a oublié ce qui s’était passé dans la saison 1. La 2 s’ouvre six mois après les derniers événements connus, à savoir l’inondation d’une partie de la région et le départ avec la horde de revenants de quelques figures marquantes de la série, telles que le petit Victor ou Camille, la jumelle cadette (oui, c’est bizarre à dire), et sa mère. Ce final en queue de poisson n’avait pas fait que des heureux parmi les spectateurs, frustrés d’être laissés dans le flou concernant la nature-même des revenants. En s’octroyant trois années pour apporter des éclaircissements, Fabrice Gobert et son équipe se sont mis la pression tous seuls. Dans un entretien à lire dans le numéro de septembre de <em>Première</em>, le créateur de la série l’admet : <em>"Au départ j’avais le sentiment que dans une série, on peut ne pas répondre tout de suite aux questions qu’on pose. Mais peut-être que la saison 1 comportait trop de mystères… On a donc écrit la 2 en se disant qu’il fallait répondre aux questions qu’on avait soulevées."</em> Plus facile à dire qu’à faire, manifestement : <em>"Le processus d’écriture a été compliqué, on n’a pas encore trouvé la recette pour écrire huit épisodes en six mois. On a failli commencer le tournage en mars 2014, mais on a décalé la date au dernier moment parce qu’on n’était pas entièrement satisfaits de scripts […]. Il y a donc eu deux ans d’écriture en tout."</em> "Recette" le mot est lâché. Ç’aurait pu être "formule", ou "process", ou tout autre terme emprunté au vocabulaire industriel : un environnement de production auquel est totalement étranger <em>Les Revenants</em>. </p>

Les zombies cafardeux de Canal+ sont de retour pour une saison 2 qui s’est fait désirer. L’attente était justifiée : toujours aussi planante, cette incursion si rare de la fiction française dans le fantastique méritait d’être traitée en prototype fragile, où tout est à inventer. Trois ans à attendre le retour des Revenants, c’est long. Pas qu’on se soit inquiété : avec la réputation acquise par la série en saison 1, y compris à l’international (la série a même été diffusée aux Etats-Unis sur Sundance Channel, fait rarissime pour un programme français), on se doutait que la 2 trouverait un jour le chemin de l’antenne de Canal+ quoi qu’il advienne. Mais les mois passant et les reports de tournage s’accumulant, il y avait de quoi se demander si tout allait bien en interne et si à force de lanterner, elle ne courait pas le risque de fatalement décevoir.Les premiers instants de cette fournée d’inédits dissipent tout doute : Les Revenants n’a pas muté en trois ans pour devenir un tout autre objet que celui qui nous avait séduits en 2012. On retrouve cette atmosphère envoûtante de Lost en col roulé, ces décors incroyables tel ce diner américain perdu en rase campagne savoyarde, la petite musique de Mogwai, l’approche romantique du mort-vivant héritée du film original de Robin Campillo sur lequel se base la série, ces dialogues au rythme hypnotique laissant un bataillon d’anges passer entre les répliques, ce casting regroupant ce qui se fait de mieux ou presque dans le ciné d’auteur et le théâtre (Grégory Gadebois, Céline Sallette, Guillaume Gouix, Clotilde Hesme, Jean-François Sivadier… rejoints cette année par Laurent Lucas, Aurélien Recoing et Michaël Abiteboul).