Watchmen a-t-elle déjà trouvé sa place au Panthéon des séries ?

En neuf épisodes seulement, Damon Lindelof a fait des merveilles. Encore une fois.

Il y a eu le phénomène Lost, qui a divisé la planète entière. Il y a eu la claque The Leftovers, qui a bouleversé tout le monde. Et en cette fin d'année 2019, Damon Lindelof a encore une fois marqué les esprits avec "son" Watchmen. Le scénariste adulé de la télé américaine a livré une lecture très personnelle du comics d'Alan Moore. Une approche brillante, intelligente, qui a pris la forme... d'une suite pure et dure ! (Attention spoilers)

Avec ce défaut majeur en son sein : si vous n'êtes pas du tout familier avec l'univers de Watchmen, le poulpe d'Ozymandias, les pouvoirs du Dr Manhattan, les traumatismes de Silk Spectre ou la légende des Minutemen, il y a fort à parier que vous soyiez passés à côté... Oui, Watchmen est une série de fans, une série de niche, proprement excluante, avouons-le. Mais pour ceux qui ont réussi à rentrer dedans, qui n'ont pas été repoussés par les nombreux clins d'oeil à l'original et par les quelques digressions réglementaires, l'aventure a été fabuleuse. Pas toujours parfaite, avec quelques longueurs ici et là, et des noeuds d'intrigue confus, que Lindelof a visiblement eu du mal à dénouer dans son final de 60 minutes très dense, voire par moment impénétrable. Mais fabuleuse, sans aucun doute.

Une véritable lettre d'amour à l'oeuvre d'Alan Moore et Dave Gibbons, qui a su parfaitement adopter l'esprit Watchmen, tout en se l'appropriant (merci d'avoir inventer "Lube Man"!). Une histoire fun, transcendante, et marquée au coeur par une mission importante : montrer comment la haine se propage de génération en génération. Damon Lindelof a confronté brutalement l'Amérique à son histoire raciale et ses terribles antécédents, à commencer par cette reconstitution inaugurale du massacre de 1921 à Tulsa. Il a su s'amuser avec les Klu Klux Klan tout en mettant le peuple afro-américain au centre de la scène. Il a fait des noirs opprimés par l'Oncle Sam les vrais héros de l'Amérique, à travers son héroïne, Angela Abar, à travers son mari - ce Dr Manhattan déguisé en simple époux aimant - mais aussi via l'histoire de Hooded Justice, le premier justicier masqué au passé bouleversant et à la trajectoire épique, raconté dans ce qui est certainement l'un des épisodes les plus beaux de l'année : "This Extraordinary Being" (l'épisode 6). D'ailleurs, au bout du bout, c'est bien une femme de couleur qui devient omnipotente et acquiert le pouvoir absolu. Le symbole est clair. Le symbole est fort.

Mais Watchmen, ce n'est pas que de la dramaturgie éloquente. C'est aussi de grands moments de comédie burlesque, avec la réjouissante partition d'Ozymandias, perdu sur son satellite de Jupiter. Une respiration parfaite, épisode après épisode, qui a pris tout son sens dans le final, grâce à une performance lunaire de Jeremy Irons, qui a embrassé à merveille la loufoquerie de son personnage. Le casting entier a cru, de manière tangible, à la narration de Damon Lindelof et s'est laissé porter par l'entreprise. Nous aussi. Watchmen, c'était court, c'était fort, c'était bon. Comme les comics de Moore et Gibbons en somme. Alors autant en rester là et laisser la série vivre aujourd'hui pour ce qu'elle est : une pépite intemporelle, qu'on aura plaisir à redécouvrir dans quelques années. Un peu comme le souhaite secrètement Lindelof : "Pour moi, le scénario idéal serait que, quelqu'un qui ne connaisse rien à Watchmen regarde les 9 épisodes, puis lise les comics, puis regarde la série à nouveau", confie-t-il dans Rolling Stone. "Je serais vraiment ravi de discuter avec cette personne. Comment notre série a influencé sa lecture, est-ce qu'elle a amélioré ou nui à l'expérience des comics ? En fin de compte, je voudrais que ces 9 épisodes soient un moyen d'accéder aux 12 numéros de la BD, pour ceux qui ne les ont pas encore lus. Vous allez adorer".