Le chef-opérateur de Seven nous parle du film qui lui a donné envie de faire ce métier.
A la mort de Gordon Willis, immense chef op’ du Parrain, de Manhattan et des meilleurs Pakula, Darius Khondji, l’un de ses plus illustres héritiers (Seven, Delicatessen, Amour, The Immigrant) nous a fait parvenir ce texte. Plus qu’un hommage : un plaidoyer pour une certaine idée du cinéma, contre "la non-lumière désespérante" des films contemporains. Une lecture indispensable, donc, à compléter avec les témoignages de trois autres grands directeurs photo, Vilmos Zsigmond (Rencontres du troisième type), Guillaume Schiffman (The Artist) et Rodrigo Prieto (Babel), publiées dans le numéro de Première de juin 2014. Nous profitons de la rediffusion du Parrain, ce soir sur Arte, pour partager à nouveau ses propos.
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"J’aurais aimé rencontrer Gordon Willis, dont le travail a été une grande influence pour moi et sûrement aussi pour beaucoup de directeur photos de ma génération et de celle qui m'a précédé. D’une grande modernité et d'une grande rigueur, son travail était très lié à sa lecture du scénario, avec une mise en lumière et un cadre très sobres, mais toujours avec une vraie intention stylistique. Il n'hésitait pas à emmener les images dans un univers où la part de l'ombre était très radicale. Il se servait de cette ombre et de la photographie pour donner plus de force aux personnages et à l'histoire. Le découpage était essentiel pour lui et constituait la clef de voûte de son travail en lumière et au cadre. Il utilisait peu les forts contrastes de couleurs et ses images étaient souvent dans des tonalités froides et désaturées. J'aime énormément son travail dans Les Hommes du Président, Klute, The Parallax View (A cause d’un assassinat) et Le Parrain II.
Pour en finir avec la "non lumière"
Dans les années 70, l’image du Parrain II, celle de Chinatown (de John A. Alonzo) et aussi celle de John McCabe (signée Vilmos Zsigmond) ont bouleversé la façon dont nous voyions les films d’époque. Mes souvenirs du Parrain correspondent au moment où j’ai commencé à réaliser ce qu’étaient l’atmosphère, les couleurs et la photographie au cinéma. Ils me sont dès lors devenus aussi importants pour "rentrer" dans le film que certains de ses personnages principaux. Certains plans de Klute restent gravés dans ma mémoire, comme ces plans qui semblent être des points de vue du tueur mais n’en sont pas toujours, ou encore la scène où Jane Fonda part rendre visite au tailleur chinois. Dans Les Hommes du Président, je pense à ce plan de grue d’élévation verticale incroyable dans la Library of Congress, ou encore ces plans du Parrain éclairés par une lumière cryptique de couleur bronze qui ne laissait voir que peu de détails dans les noirs. Le travail de Gordon Willis peut tous nous donner a réfléchir : comment traiter les scénarios que nous choisissons d’interpréter, comment aider les metteurs en scène sans étouffer les films par la photographie, mais aussi comment avoir le courage de ne pas se laisser aller, sous prétexte d’une certaine économie de moyens, à la "non lumière" morne, bien pensante mais désespérante qui illustre trop le cinéma contemporain. Dans les années 70, des directeurs de la photographie comme Willis, Conrad Hall, Vilmos Zsigmond mais aussi, en France, Bruno Nuytten, Pierre Lhomme et Nestor Almendros ont tous eu un moment la clef de cette adéquation. Sur cette question essentielle qui doit nourrir notre travail, le rapport au propos du film et à son interprétation poétique, ils sont pour moi des modèles."
Propos recueillis par Frédéric Foubert
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Bande-annonce du Parrain :
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