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Pourquoi un film aussi auteurisant, sec et radical porte-t-il ce titre aussi nanar ? C’est la première énigme du film. Mais voilà, Meurs, monstre, meurs est le titre original (Die, Monster, Die !) du Messager du diable (1965). Une série Z accablante avec un Boris Karloff littéralement sinistre, quatre ans avant sa mort, qui adapte de très loin la nouvelle La Couleur tombée du ciel de H. P. Lovecraft. Et alors ? Et alors, ce texte semble avoir fourni littéralement la matière de ce Meurs, monstre, meurs qui nous intéresse. Il s’agit donc, comme chez Lovecraft, de l’irruption d’une force étrange, extraterrestre, dans un coin perdu du monde. Une force invisible, mystérieuse et meurtrière, qui se met à contaminer la nature même de la réalité, la tordant jusqu’au délire. Ce point de départ finalement banal peut donner un film dans un spectre assez large, tant du point de vue stylistique que qualitatif (Jeff VanderMeer, l’auteur du roman qui a donné Annihilation d’Alex Garland, a forcément beaucoup lu La Couleur tombée du ciel). Ici, on suit l’enquête d’un flic rural mutique et autiste (Victor Lopez, acteur non professionnel, avec une gueule et une voix incroyables), Cruz, chargé de découvrir la chose qui viole et étripe des femmes (dont sa maîtresse) dans ce coin perdu des Andes, sur la frontière entre le Chili et l’Argentine. L’enquête, chapeautée par un commissaire qui ressemble d’ailleurs beaucoup à Boris Karloff, tient autant du whodunit surnaturel que de l’introspection psychanalytique plongeant ses protagonistes dans la folie, remettant en cause la réalité, jusqu’à ce que la mort apparaisse comme une délivrance.
FILM D’AUTEUR
Heureusement, Meurs, monstre, meurs n’est pas aussi ennuyeux que l’analyse cinéphile et branchée que le film pourrait inévitablement provoquer. Le réalisateur argentin Alejandro Fadel, remarqué pour son film de balade sauvage Los Salages en 2013, est plus proche de ce qu’avait écrit Nic Pizzolatto dans la saison 1 de True Detective. Ce petit malin recyclait de manière très ludique Lovecraft dans les bayous ; Alejandro Fadel, plus intello, l’importe dans ses montagnes et le dépouille de tout décorum. Il utilise aussi bien des procédés horrifiques efficaces – la nuit, le sound design remarquable, le hors-champ, le gore le plus charnel et répugnant – que plus intellectuels. Fadel hésite : comment concilier le pur film d’horreur et une réflexion sur le langage et l’environnement ? Comment faire de l’horreur sans recycler éternellement les mêmes astuces, les mêmes procédés banals et/ou réacs ? Récemment, des films formidables comme Hérédité et Border sont parvenus à résoudre cette équation. Le réalisateur, à l’instar de ses cousins de cinéma Ari Aster et Ali Abassi, est du côté du film d’auteur, enfermant avec une cruauté un brin roublarde ses personnages quasi muets – un paradoxe, tant le film interroge le langage dans les paysages sublimes, arides et écrasants de la frontière andine.
RADICALITÉ
Meurs, monstre, meurs joue dans le même bac à sable du film d’exploitation autoproclamé intelligent : il était d’ailleurs sélectionné à Cannes dans la catégorie Un certain regard l’an passé, aux côtés d’un certain Border. La vision des deux films dans un temps rapproché était extrêmement stimulante, tant ils partageaient une même radicalité, un même nihilisme et une même intelligence (et une même confiance dans leurs effets choc et répugnants). Même si Fadel s’est paumé avec nous dans le labyrinthe de mots et d’horreur, dans cet espace désolé, sur cette frontière entre folie et raison, la puissance de ses images monstrueuses de Meurs, monstre, meurs reste terriblement contagieuse.