Première
par Frédéric Foubert
De loin, Midsommar ressemblerait presque à l’antithèse absolue d’Hérédité, le film qui a propulsé son auteur Ari Aster en nouveau maître de la terreur filmique il y a à peine plus d’un an : ouvertement solaire et lumineux alors que le premier errait dans l’obscurité et les ténèbres, aéré et champêtre quand l’autre jouait la carte de la réclusion claustro, centré sur l’histoire d’un couple de millenials et non plus sur la transmission du mal au sein d’une famille nucléaire à l’ancienne… Mais, à y regarder de plus près, Midsommar, c’est surtout Hérédité continué par d’autres moyens. Un parfait complément de programme, qui enfonce le clou des ruminations névrotiques cauchemardesques d’Ari Aster, ce trentenaire blafard ressemblant au rejeton démoniaque de Todd Solondz et Lars von Trier. C’est un deuxième film idéal, une face B encore plus séduisante et barrée que la face A.
Reprenons pour ceux du fond, qui auraient échappé au buzz qui accompagne Midsommar depuis le dévoilement de ses premières images au printemps dernier : à l’origine, le film était une commande passée à Ari Aster avant le carton d’Hérédité, ambitionnant de raconter le voyage halluciné d’une poignée d’Américains au fin fond de la Suède, égarés dans les rangs d’une secte païenne chelou se réunissant tous les 90 ans pour les célébrations du solstice d’été. Quelque chose comme un Hostel au pays de Bergman, un morceau de "folk horror" dans la grande tradition de The Wicker Man (chef-d’œuvre de 1973 sur les rituels flippants d’une communauté écossaise isolée obéissant aux ordres du "Dieu d’osier", un film longtemps réservé aux initiés mais qui obsède beaucoup de cinéastes contemporains, Ben Wheatley en tête). Aster a tordu la commande pour faire de Midsommar son "break-up movie", l’étude d’un échec amoureux, un constat acide et amer sur les impasses d’une love story, où les mensonges, mesquineries et bassesses d’un boyfriend toxique vont entraîner un couple à partir en vrilles violentes et destructrices.
Dérive psychédélique
Même ceux qui avaient levé un sourcil circonspect face aux torrents de louanges reçus par Hérédité s’inclineront sans doute devant la mise en place de Midsommar, qui témoigne d’un talent hors-norme pour caractériser des personnages et poser une atmosphère : on y fait la connaissance de Dani (la géniale Florence Pugh), jeune fille frappée par une tragédie, et de Christian (Jack Reynor), son petit ami lâche et veule qui n’arrive ni à la quitter ni à la consoler, en un enchaînement de plans d’une précision et d’une concision époustouflantes, qui donnent d’emblée l’impression que le film danse au bord d’un abîme de douleurs sans fond. Puis Midsommar, prétextant un voyage d’études anthropologiques de Christian et ses potes de fac, met le cap sur son setting suédois, une prison à ciel ouvert habitée par des hippies souriants et très accueillants, tout en robes blanches immaculées et fleurs dans les cheveux, qui ne vont pas tarder à révéler leur passion pour les cérémonies sacrificielles et les rites purificateurs les plus brutaux… A la faveur d’une prise de champignons hallucinogènes génialement mise en scène (à l’écran, des arbres se mettent à vaciller, c’est tout bête, mais des gouttes de sueur perlent alors instantanément sur notre front), le film ouvre grand les vannes de la dérive psychédélique et du bad trip en apesanteur, façon Climax, dans un mélange addictif, à la fois délicieux et terrifiant, de rêverie cotonneuse et de paranoïa totale. Le monde imaginé par Aster est fabuleux, un Woodstock miniature parsemé de constructions bizarroïdes et peuplé d’êtres énigmatiques, exploré façon open world par les protagonistes, qui découvrent un à un les secrets macabres et malsains que cache la communauté. La grande idée du film, bien sûr, étant de filer cette métaphore très dark sous un soleil éclatant, une lumière éblouissante ne laissant aucune zone d’ombre (le propos du film est limpide). Chemin faisant, Aster provoque une joie de cinéma immense, monstrueuse, à coups de chocs visuels glaçants, dérangeants, souvent nourris d’un humour tordu et pince-sans-rire. C’est vraiment très brillant – dans tous les sens du terme.