En voyant F. Murray Abraham (qui joue un producteur) on pense à son personnage de Salieri dans Amadeus, d’autant qu’il semble y avoir le même rapport entre Salieri et Mozart qu’entre Llewyn Davis et Bob Dylan.
Joel : C’est vrai que le film pose la question de la notoriété, mais seulement à la toute fin, alors que c’était vraiment le sujet d’Amadeus. Inside Llewyn Davis traite moins de la relation d’un homme avec un « génie » que de son propre rapport au succès.
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Llewyn Davis arrive à être très attachant en dépit du fait qu’il n’est pas nécessairement sympathique.
Joel : Oui. Et il fallait aussi qu’il soit très bon dans ce qu’il fait. Ca n’aurait pas été intéressant de parler de quelqu’un qui non seulement n’avait pas de succès, mais était aussi médiocre. Llewyn Davis est quelqu’un de très doué qui, malgré ça, n’a pas autant de succès que d’autres qui n’arrivent pourtant même pas à son niveau.
A quel point est-il inspiré de Dave Van Ronk ?
Joel : Très vaguement. C’est surtout son répertoire qui est inspiré de Dave Van Ronk.
Ethan : Le personnage d'Oscar est totalement fictif. Van Ronk était la figure de proue d’un mouvement confidentiel apparu juste avant l’arrivée de Bob Dylan.
Joel : La musique est réelle, c’est la vraie musique de l’époque, mais les personnages sont inventés, même s’ils s’inspirent parfois de vrais gens.
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La pochette de l’album de Davis s’inspire d’un album de DVR sur lequel y a un chat, et je me demandais s’il ne vous avait pas inspiré le chat de Llewyn.
Joel : Très intéressant ! Parce que le chat figure sur la pochette originale, mais pas sur la nôtre, et notre décorateur nous l’a fait remarquer, alors que nous n’y avions même pas fait attention.
Alors d’où vient-il, ce chat ?
Joel : Je ne m’en souviens plus bien, mais j’ai le vague souvenir d’une discussion sur l’absence d’intrigue et…
Ethan : Nous avions besoin d’un fil conducteur, n’importe lequel. Et le chat sert à ça.
C’est difficile de diriger un chat ?
Joel : Oui, ils sont un pénibles, ils n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. On en avait beaucoup et ils se ressemblaient tous, mais avaient chacun leur spécialité. Il s’agissait moins de dire au chat quoi faire que de choisir le chat qui allait faire naturellement ce qu’on cherchait à un moment donné.
Ethan : En plus Oscar n’aimait aucun des chats. Généralement un acteur est poli et déclarera qu’il a aimé travailler avec untel ou untel. Mais il a été très honnête concernant les chats.
Joel : Les animaux sont très imprévisibles au cinéma. Parfois on a de la chance, mais souvent on perd un temps fou.
Est-il vrai qu’avant de trouver Oscar Isaac, vous avez failli renoncer à faire le film parce que vous ne trouviez pas le bon acteur ?
Joel : Ce n’est jamais allé jusque là, mais on s’est demandé à un moment s’il ne fallait pas commencer à envisager de laisser tomber. C’était un sacré défi : tout le film repose sur l’interprète, et il fallait trouver le bon acteur qui serait aussi le bon musicien. Combiner les deux paraissait impossible.
C’était très important d’avoir un acteur qui jouait de la musique pour de vrai face à la caméra ?
Joel : D’une importance capitale. C’était un impératif de pouvoir jouer et chanter, on n’imaginait pas ça autrement.Ethan : Le personnage est un musicien, et il était impensable que cette partie du film soit simulée. Nous savions que c’était important, mais nous ne savions pas si nous trouverions la bonne personne.Joel : Nous avons commencé par auditionner des musiciens qui n’avaient jamais joué ou très peu, puis des acteurs sachant jouer d’un instrument, mais ça s’est révélé très compliqué.
Quelle a été la réaction de T-Bone Burnett (musicien et producteur, qui travaille avec les Coen depuis The Big Lebowski) sur le choix d’Oscar Isaac ?
Ethan : On lui a envoyé la bande démo d’Oscar, un enregistrement vidéo de lui en train de chanter. T-Bone nous a répondu de prendre ce type parce qu’il était meilleur que la plupart des musiciens qui l’accompagnent. Il était aussi emballé que nous.
Joel : Alors on l’a convoqué et c’était parti. Le choix a été évident.
Que pensez-vous de lui en tant que premier rôle ?
Ethan : Il fait rêver les filles.
Joel : Oui il a beaucoup de sex appeal, et je ne comprends pas pourquoi il n’a pas décroché un premier rôle plus tôt.
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Etait-ce difficile d’être fidèle à l’époque ?
Ethan : C’est à la fois stimulant et difficile. Ca peut être une source d’irritation constante, parce qu’il y a toujours quelque chose qui ne va pas…
Joel : Toujours. L’avantage de tourner à New York, c’est qu’il reste encore beaucoup d’architecture de l’époque et d’avant. Mais vous allez toujours rencontrer des anachronismes, même dans les plus petits détails. Donc ces détails doivent être effacés par la direction artistique, ou, et c’est de plus en plus fréquent, être traités en post production numérique.
Ethan : Même quelque chose d’aussi banal qu’une route de campagne pose des problèmes : le marquage au sol n’est plus le même. Les plans les plus simples deviennent compliqués à tourner.
Et ce road trip à Chicago, il lui sert à en apprendre plus sur lui-même ?
Joel : Ce road trip illustre bien la façon dont on a mélangé fiction et réalité. Dans un livre sur Dave Van Ronk, il est question d’un voyage à Chicago, ce qui nous a incités à inclure un tel voyage dans le film. Nous avons senti que l’histoire avait besoin d’une ouverture à ce moment. Le film a très peu d’intrigue, il est articulé autour d’un seul personnage, il fallait trouver des respirations, et le road trip y participe. Comme le chat.
Ethan : En plus, aller rendre visite au personnage de Murray était pour lui une bonne occasion de connaître un nouvel échec. Il a échoué à New York, donc il fallait lui donner l’occasion d’échouer à Chicago ! Ha ha.
Interview Gérard Delorme
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