Le Dossier Maldoror de Fabrice du Welz
The Jokers Films

Fabrice Du Welz nous explique pourquoi il a changé d’acteur pour le rôle du criminel psychopathe, dont les meurtres et les viols d’enfants ont secoué la Belgique dans les années 90.

Point de rupture dans l’histoire et l’inconscient belge, le traumatisme de l’affaire Dutroux flotte depuis bientôt trente ans au-dessus de nos voisins d’outre-Quiévrain. Sujet hautement inflammable, dont Fabrice Du Welz s’empare en prenant des libertés par rapport à la réalité, réarrangeant les faits et changeant les noms des protagonistes. Ne cherchez pas Marc Dutroux dans Le Dossier Maldoror, vous n’y trouverez que Marcel Dedieu (impressionnant Sergi López, ogresque ordure). « Je suis un cinéaste, pas un avocat, encore moins un juge. Donc j’ai fait un film de fiction », revendique le réalisateur.

À l’origine, Du Welz avait proposé le rôle de Marc Dutroux/Marcel Dedieu à Benoît Poelvoorde, comme il nous l’expliquait en 2022 : « On doit en parler très bientôt avec Benoît. C'est un rôle secondaire, et tout ça est bien sûr sujet à ses disponibilités. Mais en tout cas, j'ai un accord de principe de beaucoup d'acteurs, très en vue, dont lui. Je précise bien : ce n'est pas Marc Dutroux, c'est un personnage qui a un autre nom et qui est librement inspiré de Dutroux. Mon ambition est de faire du cinéma, donc il est certain que le vilain qu'on va essayer de faire incarner à Benoît, il ressemblera plus au Frank Booth de Blue Velvet qu'à Marc Dutroux. Mon ambition est de m'inspirer d'une histoire vraie, de façon rigoureuse et méthodique, et après de la transformer en cinéma le plus excitant et le plus construit possible. »



De nombreux va-et-vient plus tard, l’icône belge a finalement refusé le rôle, sûrement trop lourd à porter. « Il n’y avait pas d’adhésion complète de sa part, alors que j’en avais besoin », résume le réalisateur dans le numéro de janvier de Première (avec Kaamelott - Deuxième volet en couverture), pour lequel il nous a accordé un long entretien.

« Benoît ne se pensait pas apte à l’incarner, ce que je peux tout à fait comprendre. Sergi López devait interpréter un autre personnage et j’ai alors pensé à lui, car c’est un grand acteur qui a toujours été exceptionnel en méchant [Harry, un ami qui vous veut du bien, Le Labyrinthe de Pan...]. De plus, pour un Espagnol, l’affaire n’a pas le même impact émotionnel. » 

López nous confirme qu’il avait « évidemment entendu parler » des agissements de Dutroux, mais qu’il ne connaissait pas les détails de l’affaire. « C’est ce qui m’a permis d’incarner ce monstre. Le faire jouer à un Espagnol avec un accent est un choix fort de la part de Fabrice. On sait qu’on est dans une fiction et pas dans un biopic. J’ai refusé de me renseigner sur Dutroux car trop d’informations peuvent tuer l’instinct. Alors je l’ai interprété comme un ogre dans un conte pour enfants, en acceptant ce manque absolu de morale, cette banalité maléfique. Je voulais y mettre une sorte de simplicité, sans intellectualiser : quand on le voit se préparer une omelette, il la fait comme monsieur Tout-le-monde. À mon sens, c’est ce qui le rend terrifiant. Il est finalement peu présent dans le film mais constamment dans la tête de tous les personnages et du public. J’avais très conscience de ça. »

Le Dossier Maldoror est actuellement au cinéma, et on vous conseille plus que fortement d’aller découvrir ce film-fleuve, tendu et âpre, thriller aussi judiciaire que social.