Ce qu’il faut voir en salles
L’ÉVÉNEMENT
LE REGNE ANIMAL ★★★★★
De Thomas Cailley
L’essentiel
Thriller socio, fable fantastique, teen movie… A la croisée de différents genres et influences, le nouveau film du réalisateur des Combattants impressionne par sa puissance émotionnelle et ses acteurs exceptionnels.
Tout à la fois pur film ado, mélo réaliste, pépite fantastique et allégorie de notre époque, le deuxième long du réalisateur des Combattants est un vrai film mutant. On comprend vite que dans l’univers de ses deux héros, un père (Duris exceptionnel) et son fils (Paul Kircher, subtil et intense) une étrange épidémie touche de nombreux individus. Des gens se métamorphosent inexplicablement en bêtes sauvages et une fois transformés, la société décide de les enfermer. Uniquement accroché à sa trajectoire émotionnelle, Cailley passe en un plan du merveilleux à la tragédie, de la fable au polar ou de la comédie au fantastique. Son horizon de cinéma est aussi riche que varié et on sent l’influence de Shyamalan, Spielberg et Carpenter autant que celle de Franju. Jamais le plaidoyer écolo ne prendra le pas sur le merveilleux, pas plus que l’interrogation philosophique et sociale ne viendra écraser le film de genre. Un chef-d’œuvre étourdissant.
Gaël Golhen
Lire la critique en intégralitéPREMIÈRE A BEAUCOUP AIME
NOTRE CORPS ★★★★☆
De Claire Simon
Claire Simon a posé sa caméra à l’hôpital Tenon de Paris pour enregistrer des consultations entre patients et docteurs. Assemblage de petites histoires (qui vont de l’avortement à la naissance, de la mort à la transition de genre), le film montre la violence que subit le corps des femmes. Notre corps rappelle d’abord Wiseman ou Depardon dans sa manière de disséquer une institution et de transformer des expériences individuelles en tapisserie universelle. Jusqu’à ce que, au beau milieu du récit, dans un twist vertigineux, Claire Simon passe à l’écran. On la découvre atteinte d’un cancer. Et c’est elle qui se met à répondre au médecin, elle qui accepte de se mettre torse nue pour un examen clinique, elle qui verse des larmes à l’annonce du diagnostic… Et la puissance de ce documentaire se retrouve décuplée.
Gaël Golhen
PREMIÈRE A AIME
BERNADETTE ★★★☆☆
De Léa Domenach
Bernadette est l’histoire d’une dissimulation. Celle de Bernadette Chirac, Première dame de France entre 1995 et 2007, cantonnée de par sa « fonction » à faire tapisserie. Pour son premier long, Léa Domenach a imaginé un survival qui voit, son héroïne, seule contre tous, prendre enfin sa revanche au mépris de l’Histoire officielle. Elle assume regarder avec empathie une Bernadette misanthrope (Catherine Deneuve, aux petits oignons) qui regarde à son tour un monde cynique auquel elle entend soudain prendre part. Cette trajectoire masochiste et rebelle est un parfait alliage pour la comédie qui se révèle d’une efficacité redoutable
Thomas Baurez
Lire la critique en intégralitéL’AIR DE LA MER REND LIBRE ★★★☆☆
De Nadir Moknèche
Depuis son premier long, Nadir Moknèche n’a eu de cesse de tordre le coup aux clichés sur la représentation au cinéma des personnages d’origine maghrébine des deux côtés de la Méditerranée. Et il poursuit cette quête autour d’un mariage arrangé par leurs parents respectifs entre un jeune homme dissimulant son homosexualité à sa famille qui, bien que n’en n’étant pas dupe, refuse de l’admettre et une jeune femme, brisée après une histoire d’amour toxique avec un dealer. Moknèche signe un film aussi engagé qu’engageant sur l’acceptation de soi, sur l’inéluctabilité d’une émancipation pourtant tout sauf évidente chez l’un comme chez l’autre. Et sa subtilité doit aussi beaucoup à l’interprétation tout en nuances de son duo de jeunes comédiens : Youssouf Abi- Ayad et Kenza Fortas.
Thierry Cheze
Lire la critique en intégralitéENTRE LES LIGNES ★★★☆☆
De Eva Husson
Après le décevant Les Filles du soleil, Eva Husson se remet en selle en adaptant Le Dimanche des mères de Graham Swift, l’histoire d’un amour impossible dans l’Angleterre de 1924 entre un jeune aristocrate (Josh O’Connor, le Prince Charles de The Crown) et la femme de chambre d’un manoir voisin, alors que le premier est promis à une autre. Un récit qui assume son classicisme avec la belle lumière de Jamie Ramsay (She will) tout en le bousculant au fil d’un scénario fait d’aller- retour entre les différentes époques de la vie de son héroïne et les épreuves multiples qu’elle a traversées et qui ont fait naître en elle une vocation d’écrivain. Et dans ce rôle, l’australienne Odessa Young crève l’écran, magnifiée par le regard que pose sur elle une réalisatrice dont on connaît depuis Bang gang le plaisir à filmer et célébrer la sensualité des corps.
Thierry Cheze
LOST IN THE NIGHT ★★★☆☆
De Amat Escalante
Trois ans après la disparition de sa mère, activiste écologiste, un jeune homme recherche les coupables. Son enquête le mène chez une riche famille d'artistes… Le mexicain Amat Escalante continue de raconter la violence et la corruption de son pays, dans une forme un peu moins brutale et « dans ta face » que celle des fracassants Los Bastardos et Heli. Lost in the night évolue à un rythme déstabilisant, fait de faux départs, de montées en puissance presque aussitôt désamorcées. Ces circonvolutions font écho à l'architecture moderniste de la maison où se déroule le film. Couplées à la façon toujours très puissante dont la caméra d'Escalante capture les visages et les paysages (qui rappelle le Bruno Dumont des débuts), elles finissent par former une toile obsédante, dans laquelle le cinéaste exprime sa culpabilité d'artiste se "nourrissant" de l'horreur du monde.
Frédéric Foubert
L’AUTRE LAURENS ★★★☆☆
De Claude Schmitz
Un détective privé doit enterrer sa mère tandis que sa nièce débarque dans sa vie pour lui demander d’éclaircir les circonstances ayant mené à la mort de son père, son jumeau avec lequel il n’avait plus de contact. Sur les bases du scénario d’un film noir, Claude Schmitz (Braquer Poitiers) jongle – comme il en a l’habitude - avec les genres et dialogue avec l’imaginaire cinématographique américain. Une enquête sur un meurtre près d’une frontière, l’implication de groupes illégaux et de pays étrangers, un lent glissement vers le western… d’accord, mais à Perpignan plutôt qu’au Texas. Trop long et diffus pour toucher à la densité à laquelle il aspire, L’autre Laurens réussit cependant l’exploit de se situer à équidistance de Bruno Dumont et Harmory Korine, notamment à travers ses personnages et ses décors stylisés, plongés dans une France fascinante et méconnaissable.
Nicolas Moreno
JE VOUS SALUE SALOPE- LA MISOGYNIE AU TEMPS DU NUMERIQUE ★★★☆☆
De Léa Clermont- Dion et Guylaine Maroist
Sur un fauteuil ou une frêle chaise, quatre femmes, bien droites, se relaient face caméra (comme si elles étaient à la barre). Elles ont des âges, des peaux, des regards, des nationalités et des statuts sociaux différents, mais sont reliées par la même violence. Elles ont été harcelées en ligne. Le sont toujours. Tour à tour, elles se dévoilent, les yeux dans les yeux, sur une musique, ou mélo ou effrayante (le hic du film). Racontent les humiliations, insultes, menaces. Décrivent le même régime de peur et de repli. Les mêmes délégitimations de la police. C’est bien là le tour de force du documentaire : disséquer un processus dans son entièreté, et montrer que la violence est systémique. Politique. Elles vient de ces hommes-masculinistes qui réduisent au silence, terrorisent les femmes. Elle vient du patriarcat. Un documentaire salvateur.
Estelle Aubin
Retrouvez ces films près de chez vous grâce à Première GoPREMIERE A MOYENNEMENT AIME
DES IDEES DE GENIE ? ★★☆☆☆
De Brice Gravelle
Poussé par un "leadership du cœur", Philippe Ginestet, patron de la chaîne de magasins GIFI et TATI, self-made man, incarnation française du rêve américain, est un gourou idéal à filmer, tant son exubérance est grande. Mais à trop scénariser ses apparitions, le risque est grand de rendre par ricochet l’envers du décor inatteignable... Et c’est ce piège dans lequel tombe peu à peu ce documentaire de Brice Gravelle.
Lucie Chiquer
NEGATIVE NUMBERS ★★☆☆☆
De Uta Beria
Une décennie après la disparition de l’URSS, les prisons de Géorgie sont encore sous l’influence du groupe criminel des “voleurs dans la loi”. Et quand le film débute, Nika est sur le point de devenir leur représentant junior dans un centre de détention pour mineurs, où il est déjà respecté et redouté. Negative Numbers met en scène l’histoire vraie d’une hiérarchie informelle qu’un programme de réinsertion par le rugby par deux anciens joueurs pros est venu perturber. Sur le terrain improvisé, jonché de poussière et de graviers, les jeunes détenus – tous interprétés par des acteurs non professionnels – découvrent le pouvoir du sport qui n’est ni minimisé, ni appuyé à outrance par Uta Beria. Son premier long métrage est certes souvent lent et silencieux, mais il crie la violence omniprésente d’un environnement délabré où rien n’importe plus que l’honneur et la dignité.
Sarah Deslandes
Et aussi
Dehors dedans, de François Havez
Les reprises
La Bataille de Solferino, de Justine Triet
Mark Dixon, détective, de Otto Preminger
Commentaires