- Fluctuat
Assault on Precint 13, l'un des chefs d'oeuvre de John Carpenter qui a marqué tout une génération de cinéastes et de spectateurs, revient. Mais le remake franco-américain signé Jean François Richet n'en est qu'un pâle reflet : il n'a ni l'atmosphère envoûtante, ni l'audace formelle de l'original.
Inexorablement chaque génération a ses souvenirs cinéphiliques. Il y a eu Scorsese, Coppola, De Palma, Lynch, qui tous vivent avec le trauma du cinéma classique hollywoodien, chacun remédiant selon ses propres médecines. Il y a eu Carax et son complexe godardien, aujourd'hui il y a ce qu'on appellerait trop vite les années soixante-dix et son cinéma de genre et d'exploitation. Après Tarantino, grand maniériste pop presque warholien qui est allé au bout de sa propre logique avec Kill Bill, les déclarations d'amour référentielles en viennent naturellement au remake. Ainsi récemment on exhumait le génial Zombie de Romero pour en faire une réflexion sur la présence des images dans notre modernité. L'Armée des morts de Zack Snyder s'adaptait à notre époque : plus qu'un remake, c'était une variation contemporaine du thème et du genre, une réflexion sur le cinéma aussi radicale et jouissive pour son nouveau discours que son action.Il est indispensable de passer par Romero et ce revival seventies afin de parler d'Assaut sur le central 13 de Jean François Richet. En revoyant Assault de Carpenter, on est surpris par la parenté que le film entretient avec La Nuit des morts vivants. Epoque oblige (plus ou moins), mais pas seulement. Plus que les stigmates des conditions de production, c'est surtout pour cette même ambiance, ce paradoxal réalisme fantastique qu'on se surprend à tisser des liens. Romero et Carpenter partagent ce même goût pour une perversion du style documentaire. Une manière de faire rentrer dans une image quasi brute du réel des zones et des figures issues de l'imaginaire. Ainsi les paysages urbains et désolés d'Assault, vrai décor de western avoué (le film est un hommage à Rio Bravo), étaient envahis par cette menace à la fois indéterminée et tribale représentée par les gangs (qui n'était qu'une variation des figures cow-boy contre indiens). Les figures rappelaient les zombies de Romero dans leur manière d'envahir chaque espace ouvert vers l'extérieur du commissariat, et les deux films partageaient une même mise en scène de l'enfermement. Tout ce que Richet va à peu de choses près abandonner.Les films de Romero ou de Carpenter participaient d'une logique de série B, d'une exploitation des genres qui finirent par transcender leur système économique pour fonder de nouvelles esthétiques. Aujourd'hui, avec Assaut sur le central 13, nous entrons dans une nouvelle ère, celle de la série A-B, nouveau régime d'exploitation, de création et de liberté au sein d'une production à vingt millions de dollars. C'est dans cette zone que Jean François Richet se situe pour réaliser le remake d'Assault qu'il convoitait depuis des années. Arrivant après la version pirate de Siri, Nid de guêpes, le film de Richet risque pourtant d'avoir du mal à convaincre. Et c'est là, qu'en comparant cette adaptation en regard de celle du Romero, que l'on comprend la distance qui les sépare.Là où Snyder transcendait l'original en inventant son propre système, Richet se contente d'adapter sans savoir renouveler ni le sujet ni surtout - encore moins - l'entreprise stylistique et esthétique constituée par Assault. Sans établir la longue liste séparant les films de Carpenter et Richet, la gêne vient d'emblée de l'intrigue. Chez Richet on tente de s'expliquer par de la psychologie (le traumatisme lourd d'Ethan Hawke), on montre des personnages secondaires inintéressants (la psychologue), on crée du suspens faible et prévisible (l'identité de l'ennemi) et surtout on donne un visage aux assaillants (des flics corrompus). Cette rationalisation, une lecture limpide des motivations de l'ennemi, (qui chez Carpenter en plus d'être surtout des ombres n'avait pas de voix, Assault était un film remarquablement silencieux) défait toute étrangeté et retire le climat de paranoïa ambiant, l'angoisse de ce qui n'a pas de nom. Reste alors un chassé-croisé de caractères qui devrait se révéler dans l'action sans jamais convaincre et des images rutilantes. Plus dilatée que le film de Carpenter, l'adaptation de Richet (qu'il dit être plus proche de Rio Bravo) s'appuie sur des corps vides. En voulant davantage s'intéresser au facteur humain (le drame) plus qu'au projet de mise en scène (l'action), Richet oublie de filmer l'essentiel et finit par boucler un objet impuissant. Peut-être trop astreint par la logistique hollywoodienne demandant une parfaite maîtrise de la mise en scène, ne laissant aucune place à l'improvisation, Richet semble s'être laissé faire par un système l'ayant contraint à l'achèvement d'une oeuvre calibrée.Apparemment loin de ses pamphlets crypto-marxistes (Etat des lieux, Ma 6-T va craker), Assaut sur le central 13 reflète pourtant une trajectoire logique chez Richet. En renouant avec un cinéma populaire -destiné d'autant plus aux Etats Unis à un public qui n'a jamais entendu parler d'Assault, Richet adopte une position en parfaite adéquation avec ses anciennes convictions, le manifeste en moins. En somme, il élabore une fiction sans mémoire, il filme pour le présent de tous, sans qu'une distinction nécessaire et préalable soit de rigueur pour regarder son film. Il est à la fois dans le sillon de Carpenter et s'en éloigne, mais avec une telle modestie que l'élève achève son devoir sans génie, se contentant d'aller au tableau réciter sa leçon.Assaut sur le central 13
Un film de Jean-François Richet
France, Etats-Unis, 2004 - 1h50
Avec Ethan Hawke, Laurence Fishburne, John Leguizamo [Illustrations : Assaut sur le Central 13. Photos © Metropolitan FilmExport]
- Lire la chronique de De l'amour(Jean-François Richet, 2001)
- Lire la chronique de L'Armée des morts(Zack Snyder, 2004)
- Consultez salles et séances sur le site Allociné.fr
Assaut Sur Le Central 13