Première
par Frédéric Foubert
« C’est comme si un anarchiste vivait dans ma tête », dit Lionel Essrog (Edward Norton), le détective privé atteint du syndrome de La Tourette, héros de Brooklyn Affairs, pour expliquer pourquoi il ne peut pas s’empêcher de ponctuer sa conversation d’interjections incompréhensibles ou de lapsus grossiers. Un clin d’oeil à peine voilé à Fight Club et, plus généralement, au goût qu’a toujours eu l’acteur pour les personnages intranquilles, « dérangés », perturbés par leurs pensées en fusion. Ce qu’on ignorait, c’est qu’à l’époque où on faisait sa connaissance dans Peur primale, Fight Club, The Score et autres, Norton rêvait déjà de jouer le héros des Orphelins de Brooklyn, le polar de Jonathan Lemm qu’il adapte ici. Brooklyn Affairs est donc l’aboutissement d’une longue quête pour l’acteur-réalisateur. D’ailleurs, le thème a beau être classique (un enquêteur fifties révèle au grand jour la corruption morale qui a permis de bâtir l’Amérique moderne), on sent à chaque instant sa sincérité et sa foi absolue dans le matériau. Avec le chef opérateur Dick Pope (L’Illusionniste), Norton a élaboré une superbe orfèvrerie néo-noir, cernée par le spectre d’Edward Hopper, à la musicalité impressionnante : dopé par des décharges de be-bop furibardes, le récit s’abandonne à l’occasion dans des stases mélancoliques et hypnotiques, rythmées par la voix de Thom Yorke, avant de repartir à la charge. C’est beau, et beaucoup plus qu’un exercice de style : une ode vibrante aux artistes, aux losers et aux idéalistes. Mince, alors... On avait presque oublié à quel point on aime Edward Norton.