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Un témoignage, mais pas d’images. Il y a quelques années, le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen réussit enfin à faire parler son ami d’enfance, Amin, sur son trouble passé. À une condition : son anonymat devra rester total. Pendant ces longs entretiens, seule la voix d’Amin est enregistrée. Il raconte comment il s’est inventé une autre vie, cachant à son entourage avoir fui l’Afghanistan à la fin des années 80 alors qu'il n'était qu'un môme, au moment de la prise de pouvoir des moudjahidine. À 36 ans, Amin est désormais un universitaire reconnu au Danemark, et en couple avec un homme. Trajectoire dingue que Rasmussen retrace sous la forme d'un documentaire d’animation : Flee comble visuellement les trous en alternant entre dessins semi-réalistes (la plupart du film), griffonnés et brouillons (les instants les plus vaporeux dans l’esprit d’Amin, ou bien les pires passages de son existence) et images d'archives en prises de vue réelles. Un dispositif troublant, qui accentue la dureté du réel en insufflant de la fiction.
L'effet est saisissant et immersif, tonitruant mariage de la forme et du fond. Tourné en live, Flee aurait certainement fonctionné. Mais l'animation renforce tous les choix de mise en scène : même les séquences « face caméra » entre le réalisateur et Amin - qui auraient facilement pu relever de l'exploitation d'émotion dans un autre format - prennent ici une force évocatrice inattendue. Tour à tour film de survie déchirant et récit d'émancipation, Flee évoque aussi bien la crise des réfugiés que le traumatisme de grandir en se découvrant gay dans un pays qui ne tolère pas l’homosexualité. C'est surtout un grand récit à suspense, jamais larmoyant et d’une grande pudeur, sur la violence de l'incertitude et du chaos du monde. L'histoire d'un homme hanté par son passé et ses mensonges forcés, désormais seul sur les ruines de ses souvenirs. L’introspection aura rarement été aussi universelle. On pourra aussi la découvrir sur grand écran le 31 août 2022.