Première
par Vanina Arrighi de Casanova
Son titre définitif est joliment poétique, mais Lost River portait mieux son working title : How to catch a monster. Le premier film de Ryan Gosling évoque un train fantôme, peuplé de monstres et de mort-vivants, de fantasmes et de visions cauchemardesques nés d’un imaginaire d’enfant – perturbé le gamin, mais gamin quand même.
Contrairement à ce que laissaient penser les différentes versions du synopsis auxquelles on ne comprenait rien, la trame de Lost River est limpide. Dans la banlieue sinistrée de Detroit (dont la moiteur et la chaleur de l’été évoquent plutôt la Louisiane), des villes entières sont désertées de leurs habitants asphyxiés sous les dettes et les maisons croulent et brûlent. Parmi les derniers survivants du quartier, une mère célibataire (superbe Christina Hendricks) et ses deux fils luttent pour leur survie. Pour la mère, la lutte passera par une (très étrange) forme de prostitution, pour le fils aîné (Iain de Caestecker, clone de Gosling), par un combat contre ses démons. Cliché ? Naïf ? Puéril ? Absolument. Comme le sont les grands contes pour enfants, qui laissent parfois des images indélébiles en tête.
C’est le plus frappant du film, ses fantasmagories visuelles et son délire graphique. Gosling fait de l’Amérique post-crise des subprimes un monde post-apo sauvage et dégénéré, le décor d’une fable gothique habitée de visions cauchemardesques et fantasmatiques, où le malheur est lu comme une malédiction. Le fils aîné, horrifié de voir sa mère se compromettre, entame une quête où il devra vaincre des monstres (symboliques) pour sauver sa famille et conjurer le mauvais sort. Pour l'anecdote, on rencontre quand même aussi Reda Kateb, en genre de chevalier servant de la belle rousse de Mad Men. Comme tout premier film, celui là croule sous les références, mais pas les pires. On croise Lynch - Twin Peaks mais surtout Lost Highway - Winding Refn et Argento – convoqué par une Barbara Steele hallucinante et hallucinée, que Gosling filme comme une statue de cire du musée Grévin. Résultat : son récit parfois foutraque dont la noirceur et les obsessions évoquent les chansons du groupe du Goz, Dead Man’s Bones, est traversé de visions sublimes. Un village englouti, des quartiers abandonnés, un club des bas-fonds qui marche au goût du sang, des salons privés où les femmes sont exposées dans des caissons en latex aux fantasmes des hommes… Le train fantôme de Ryan Gosling, shooté par Benoit Debie (le chef op de Spring Breakers ou Enter the Void) à grand renfort de néons fluos, fait parfois l’effet de montagnes russes mais offre son lot de sensations fortes. Prêt pour un deuxième tour ?