Birdman marque un virage à 180° par rapport à vos précédents films. Vous y voyez un simple exercice de style ou une libération nécessaire pour ne pas vous répéter ?Pour moi, ce film est d’abord une libération. Déjà, je ne suis plus le même qu’il y quatorze ans quand j’ai fait Amours chiennes, mon tout premier film. J’ai plus d’expérience et mon travail s’en ressent. Dans tout ce que l’on entreprend, il y a le risque ou la tentation de s’installer dans une sorte de confort. Mais je fais tout pour m’en éloigner et me placer le plus possible dans une position où je dois chercher les choses plutôt que de simplement les fabriquer. Comme artiste, il faut privilégier le mouvement, le flux. C’est comme avec l’eau : trop stagnante, elle finit par s’empoisonner.
Dès Amours chiennes, vous aviez créé un style très identifiable, avec vos personnages multiples, votre sens du mélo et du montage en couches superposées. Cette esthétique a eu un impact énorme sur le cinéma contemporain. Vous en démarquer, c’était en quelque sorte échapper à votre propre influence ?Il y a un peu de ça. Comme j’ai tendance à observer et absorber tout ce qui vient de l’extérieur, j’ai bien constaté que pas mal d’autres cinéastes étaient sensibles à mon travail. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour changer d’approche. Non, c’est juste que j’ai assez exploré un même langage dramatique, cette façon très artificielle de juxtaposer le temps et l’espace. A force, ce gimmick narratif était devenu, disons… routinier. Je m’en suis tout bêtement lassé.
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Aujourd’hui, nombre de cinéastes sont comme des grands couturiers qui, une fois qu’ils ont trouvé leur « griffe » y restent attachés vaille que vaille. Pas vous. Au contraire, vous avez décidé brutalement de cesser de « faire du Iñárritu… »J’ai vu des tas de cinéastes – mais aussi des peintres, des écrivains – se laisser piéger par leur image ou le style que l’on attendait d’eux. Et je peux vous dire qu’il n’y a rien de plus triste. Il entre là-dedans une immense part d’ego ce qui, au passage, est un peu le sujet de Birdman : se retrouver prisonnier de ce que vous êtes supposé représenter… Si ce n’est pas vous, vous êtes perdu ! Certains réalisateurs répètent encore et encore une formule qui leur a valu du succès et deviennent des caricatures d’eux-mêmes. C’est épouvantable. Ils ressemblent à ces vieux rockers qui s’habillent encore comme s’ils avaient 18 ans. Il faut à tout prix se débarrasser de cette logique d’étiquettes dictée par le public et l’industrie. Dans notre système capitaliste, l’art est une marque. Soudain, votre nom devient une « signature » et vous êtes piégé, bouffé par le système. Je trouve ça absolument terrifiant. Les gens m’attendaient encore dans le registre du drame ou du film choral fondé sur un montage fragmenté. Il y en a même qui se sont plaints que je m’en éloigne, avec mes plans séquence ultra-élaborés… Ça m’est égal. De ce point de vue, oui, Birdman est pour moi un triomphe libérateur. Il m’a justement permis de m’affranchir de ces étiquettes et d’explorer une nouvelle grammaire visuelle.
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Vous passez du « tout montage parallèle » au « tout plan séquence. » N’est-ce pas une façon d’échapper à un système pour mieux vous enfermer dans un autre ?Plutôt que de système, je préfère parler de langage dramatique. Dans Birdman, ce langage sert à rendre compte de l’état émotionnel compliqué d’un artiste en crise. Ce n’est pas un artifice stylistique, mais un outil narratif que j’ai élaboré spécifiquement. Après, oui, j’aime bien me fixer des règles, parce qu’une fois établies, elles te contraignent à trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. Aucun film n’avait jamais été entrepris de cette façon. Les risques étaient énormes, le désastre nous guettait, chaque prise demandait un travail de préparation et de timing colossal. Mais on était excités, parce qu’on savait que si ça marchait, le résultat serait très puissant. Après, je sais bien que l’on ne peut pas appliquer cette méthode à chaque fois. Mais je sais aussi que certains de mes précédents films, construits sur le montage, auraient sans doute bénéficié d’être moins jusqu’au-boutistes.
L’ironie, c’est que c’est avec un film qui traite du besoin de reconnaissance d’un artiste et de son souhait d’échapper à son style passé que vous obtenez une ovation critique et neuf nominations aux Oscars…Tous ces trucs sont tellement frivoles… Mais c’est aussi une manifestation de la reconnaissance de votre travail par vos collègues, et cet aspect des choses est très gratifiant. Et puis, c’est toujours une bonne occasion de boire des coups… Pour le reste, je suis très critique vis-à-vis de moi-même. Je peux vous dire que je n’aime rien de ce que j’ai fait jusqu’à présent. Je dis toujours que je n’ai pas besoin de critiques parce que je suis le plus sévère de tous. Je sais mieux que quiconque ce qui ne fonctionne pas dans mon travail.
Quels enseignements de Birdman appliquez-vous à The Revenant, que vous finissez actuellement de tourner ?C’est une histoire de vengeance de trappeurs dans le grand nord (avec Leonardo Di Caprio, NDR).Autant le sujet que l’environnement exigent une approche complètement différente, mais il est évident que je me sers de l’expérience acquise sur Birdman, un film sur lequel j’ai beaucoup élargi ma panoplie. Nous sommes ce que nous avons fait…
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Birdman d'Alejandro Gonzalez Iñárritu avec Michael Keaton, Edward Norton, Emma Stone et Naomi Watts sort en salles le 25 février.
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