En 2011, le spectacle a obtenu quatre nominations dont un Molière pour vous Guillaume. Ce fut une joie ?Guillaume Marquet : j’aurais préféré qu’il revienne à Philippe pour sa mise en scène.Philippe Adrien : c’était bien d’être nommé quatre fois, signe que le spectacle avait été reçu très favorablement. Et je trouve sympathique qu’un jeune acteur comme Guillaume ait été distingué.G.M. : on était très fiers de ces nominations. Le Dindon a sa bonne étoile. Lorsque j’ai gagné, ce qui m’a le plus touché, c’était d’entendre la joie de mes camarades dans la salle.Que pensez-vous de la disparition des Molières ?P.A. : les Molières envoient un coup de projecteur sur un spectacle. Ce fut le cas pour Le Dindon. Cela a permis la reprise à la Tempête, de nouvelles dates de tournée et de nous retrouver bientôt à la Porte Saint-Martin. Il est regrettable que cette institution soit en panne. Il y a toujours eu des dysfonctionnements, mais l’idée d’être célébré par ses pairs est belle, et forcément la plus juste.Passer de la Tempête à la Porte Saint-Martin, c’est une sacrée aventure, non ?P.A. : les théâtres du boulevard existent depuis longtemps et ils ont créé ce répertoire. La Porte Saint-Martin est l’un des plus prestigieux. Ce qui se fait de mieux dans le genre. Jouer dans cette salle est une grande chance, un grand plaisir. Avec entrain et énergie, nous allons passer de 250 à 1000 places !G.M. : on sort de deux années de tournée, où l’on ne cesse de changer de lieu. Ce n’est pas toujours évident de se retrouver dans un espace immense lorsque la veille, on a joué dans une petite salle. Le fait de poser nos malles dans un théâtre et d’y jouer tous les soirs va être bénéfique.Vous jouez la pièce depuis trois ans, ce n’est pas usant ?G.M. : comment se lasser d’un tel texte ? Plus on joue, plus la troupe à envie de jouer. Le temps ayant fait son ouvrage, le spectacle a grandi. Cette pièce a autant de vies qu’un chat.Pourquoi Feydeau et sa vision du monde bourgeois et de ses codes plaisent-ils toujours autant ?P.A. : avec Le Dindon, les spectateurs ne peuvent pas ne pas rire, ils vont de secousse en secousse jusqu’au chaos. Feydeau, c’est l’époque où les codes bourgeois en prennent un sacré coup, du fait de la critique sociale et politique, de la Commune, du marxisme… C’est aussi le moment où s’invente la psychanalyse. Feydeau l’a senti. Et ça passe tout simplement dans son théâtre par l’expression de la sexualité. Comme si l’auteur prenait plaisir à observer comment cette société tente de refouler la pulsion et à quel point c’est impossible.C’est surtout la mise en place d’une machinerie infernale du comique.P.A. : oui, on parle toujours de la mécanique de Feydeau, bien sûr, mais je crois qu’il est très important de jouer chaque moment avec justesse, de ne pas vouloir à tout prix emballer la machine. Feydeau a parfaitement calculé la montée du délire. Si on en fait trop, on écrase la jouissance du public.G.M. : il y a une vraie musicalité de la langue. Feydeau, c’est une musique avec différents tempi. Pour chaque phrase, il faut adopter le ton juste et faire la césure au bon endroit. Si on bouge, on sent que cela ne marche pas. En répétition, Philippe nous a dit : « Ils ne sont pas tous fous… La question est de savoir jusqu’où on peut pousser la folie et qu’on y croie encore. »P.A. : c’est moi qui suis devenu fou ! Peu à peu, les acteurs ont saisi ce qui me déclenchait. Quand j’exultais de joie dans mon siège, ils savaient que ce qu’ils proposaient était en phase.Quel rôle a joué la scénographie dans la dynamique du spectacle ?P.A. : Jean Haas a eu un coup de génie. Sa scénographie permet de ne jamais interrompre le mouvement comique. D’ordinaire, on encombre les pièces de Feydeau d’objets et de meubles. Là, c’est lapidaire, du coup il y a de l’espace pour circuler et jouer physiquement. Notre fameuse « double tournette » permet aussi d’aborder la dimension onirique de Feydeau.Feydeau exige-t-il beaucoup d’énergie et de talent de la part des comédiens ?P.A. : si les acteurs ont le doigt sur la couture du pantalon, ça ne peut pas fonctionner, il ne faut pas les contraindre, au contraire il faut les inciter à se lâcher… mais toujours avec élégance.G.M. : c’est magnifique à jouer, mais épuisant. C’est la première fois que je m’astreins à une hygiène de vie. On est dans le domaine du sport, même si je n’aime pas cette comparaison. On ne mobilise pas les mêmes moyens pour jouer Feydeau que pour tout autre auteur.
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