Première
par Thomas Baurez
Être une femme indépendante, une cinéaste engagée et donc une voix dissidente. Payal Kapadia, 38 ans, représente peut-être une bonne partie de ce que le régime nationaliste en place en Inde depuis dix ans ne veut pas voir, ni entendre. Son All we imagine as light arrivait en compétition à Cannes (où il a obtenu le Grand Prix) brisant trente ans d’absence du cinéma indien sur les prestigieuses marches rouges. Il suit l’itinéraire de deux infirmières d’un hôpital de Mumbai qui partagent un petit appartement. L’une, mariée, n’a pas vu son conjoint depuis belles lurettes et s’interdit, de fait, une nouvelle histoire d’amour. L’autre, plus jeune, essaye de vivre sa passion avec son fiancé d’origine musulmane, ce qui, on le comprend très vite, les condamnent à une forme de clandestinité. Autour de ces êtres, il y a le cœur de la ville qui bat trop vite et empêche de respirer. Car si, comme il est dit ici, "la ville sert à oublier les peines de cœur", elle peut aussi noyer les sentiments et assécher les êtres. Payal Kapadia avait été repérée en 2021 avec son documentaire, Toute une nuit sans savoir. En cela le début de ce All We Imagine As Light raccorde directement avec son précédent film dans cette façon de saisir sur le vif des vues de Mumbai sur lesquelles se superposent en voix-off les témoignages d’anonymes. Il en résulte une approche sensible et intime de l’espace. Là où certains cinéastes imposent aux spectateurs leurs personnages, leurs histoires et leurs émotions, Payal Kapadia choisit la voie de la douceur et de la révélation à bas bruit. Ce qui n'empêche pas de taper fort.