Première
par Christophe Narbonne
À l’université de Winchester, en Virginie,il y a d’un côté les Blancs et de l’autre les Afro-Américains. Fraîchement élue à la tête de la résidence noire, la militante Samantha White anime l’émission de radio du campus, "Dear White People", où elle dénonce avec un humour vachard le creusement du fossé entre les communautés, chaque "camp" se renvoyant la balle, jusqu’à l’explosion inévitable. Les hasards du calendrier font bien les choses : "Selma", dont la sortie précède de deux semaines celle de "Dear White People", raconte le combat des Noirs pour les droits civiques, gagné de haute lutte au cours des années 60. Dans "Selma", la révélation Tessa Thompson incarne l’étudiante activiste Diane Nash, dont Samantha White, qu’elle interprète ici, serait en quelque sorte l’héritière. Chacun à leur manière, les réalisateurs Ava DuVernay et Justin Simien rappellent que l’histoire est un éternel recommencement et que les victoires d’hier font le lit des problématiques d’aujourd’hui. "Remerciez la discrimination positive !", lance Kurt Fletcher, un étudiant blanc vaguement suprématiste, défiant ainsi des Noirs médusés. Le pire, c’est que Justin Simien n’a rien inventé puisque des événements similaires à ceux décrits dans le film se sont produits récemment sur certains campus américains. Pour conjurer le sort, le jeune réalisateur a donc décidé d’employer les moyens de Spike Lee en soufflant sur les braises de la ségrégation qu’on croyait éteintes. Comme chez le réalisateur de "Do the Right Thing" (période énervée mais incisive), les dialogues claquent tels des coups de fouet et renvoient dos à dos Noirs militants et Noirs dociles, Blancs paternalistes et Blancs sympathisants, qui ont tous de bonnes et de mauvaises raisons d’être ce qu’ils sont. Pour apprécier à sa juste valeur ce brulôt à géométrie variable, plein d’ambiguïtés et parfois de contradictions (le twist final va un peu à l’encontre d’un discours qui se veut rassembleur), il faut sans doute être américain. Mais outre sa dimension politique stimulante, "Dear White People" séduit également grâce à son habillage pop : pastilles fun qui installent les personnages, chapitrage moqueur, contrepoint musical… Cette narration aussi plastique que littéraire rappelle, là encore, l’énergie très communicative des premiers Spike Lee, de "Nola Darling" n’en fait qu’à sa tête à "Jungle Fever".