Emma Stone et Steve Carell refont "presque" le match à l’identique.
Battle of the Sexes s’inspire d’un match de tennis "historique" : en 1973, Bobby Riggs, 55 ans, un ancien joueur accro aux paris a défié la championne du moment, Billie Jean King, 29 ans, de l’affronter sur le court, en direct à la télévision. Le scénariste Simon Beaufoy (The Full Monty, Slumdog Millionaire…) et les réalisateurs de Little Miss Sunshine, Valerie Faris et Jonathan Dayton, livrent un joli biopic "feel good" et rempli de réflexions intéressantes sur le sport, le féminisme, la passion dévorante du jeu et l’homosexualité. Le résultat est très proche des faits réels. Attention, spoilers : voici quelques détails si vous voulez en décortiquer le vrai du faux APRES avoir vu le film.
Battle of the sexes : jeu, set et macho (critique)
The Battle of the Sexes : le documentaire de référence
"Il y a eu plusieurs documentaires sur Billie Jean au fil du temps, mais il y a certaines choses qu’on peut montrer dans un film et pas dans un docu, nous détaille Dayton en interview. On peut fouiller la vie intime de la personne." "On peut faire ressentir les émotions de l’héroïne au public avec une mise en scène dramatique, renchérit sa complice, alors que dans un docu, on ne peut qu’en parler."
Avant ce long métrage est notamment sorti The Battle of the Sexes, documentaire de James Erskine et Zara Hayes qui date de 2013 et retrace exactement la même histoire grâce à des images d’archives et des extraits d’interviews. Sauf que les événements y sont racontés un peu différemment. Par exemple, l’homosexualité de Billie Jean King semble lui tomber dessus, au beau milieu des préparatifs du match (et de l’intrigue), alors que dans le long métrage, c’est un sujet central, développé dès le début de l’histoire. On comprend ainsi mieux l’impact de cette révélation sur la championne. Voir ces deux projets coup sur coup est très intéressant, car s’ils racontent différemment le parcours de Billie Jean, ils se complètent bien, et défendent tous les deux le match féministe qui se jouait en coulisses.
Le match du siècle est parfaitement retransmis
On commence par la fin, mais après tout, c’est ce qui a donné son titre au film : le 20 septembre 1973, l’événement a bien eu lieu devant 30 472 spectateurs, soit le plus large public pour un match de tennis de l’histoire des Etats-Unis. Il a été vu par 90 millions de téléspectateurs dans le monde et ce qui est montré dans le film s’est bien passé comme ça : les joueurs sont effectivement arrivés en fanfare, Riggs portait une veste Suggar Daddy qu’il devait garder sur le dos par contrat malgré la chaleur, King lui a bien offert un cochon (gris, pas rose, mais on pinaille). En ce qui concerne les coulisses, King a effectivement menacé de ne pas jouer si Jack Kramer commentait l’échange, et le patron d’ABC a décidé à contre cœur de le remplacer.
Billie Jean King et Bobby Riggs sont très proches de leurs modèles
Physiquement, Steve Carell ressemble peut-être un peu plus à Riggs qu’Emme Stone à King (comme peut le voir sur les photos d’archive à la fin), mais les deux comédiens se sont tous les deux énormément investis dans leurs rôles et parviennent ainsi à éviter tout manichéisme. Il aurait été facile de faire de Riggs le méchant de l’histoire et de King une battante féministe prête à tout pour écraser son adversaire, et le duo propose des personnages beaucoup plus profonds que ça. Comme nous l’expliquent les réalisateurs, après plusieurs mois d’entraînement, les deux artistes étaient pleinement dans le rôle. "Steve voit ses personnages comme des êtres complexes, pas comme des caricatures. Pour ce film, il a travaillé étroitement avec le coach de Bobby Riggs (car le sportif est mort en 1995), ainsi que sa famille. Il a joué au tennis avec lui pour apprendre son jeu, il a entendu des tas d’histoires sur lui, il a développé un amour incroyable pour Bobby. Il comprend son comportement. (…) Ce qui est génial, c’est qu’Emma est aujourd’hui dans la même position que Billie Jean, elle est au top de sa carrière. Elle peut donc utiliser sa notoriété pour faire passer des messages qui lui tiennent à cœur. Elle parle aussi d’égalité salariale, de l’industrie du cinéma. Quand quelqu’un atteint un tel niveau dans son domaine, sa voix compte et il/elle peut influencer le monde. Je crois qu’elle ressent cette responsabilité en ce moment. C’est la personne idéale pour parler de ces sujets."
Le film montre bien comment Billie Jean King devait gérer toutes sortes de bouleversements dans sa vie. La pression du match à venir, ses problèmes intimes (la découverte de son homosexualité, son divorce), son combat pour l’égalité salariale… "Nous voulions raconter l’histoire de son point de vue à elle. Qu’est-ce que ça faisait, en 1973, d’être mariée à un homme et de découvrir que ça ne vous correspondait pas, que vous étiez en train de tomber amoureuse d’une femme ? Tout est arrivé en même temps dans sa vie : elle se battait pour l’égalité salariale, elle devait jouer ce match…" La notion de respect est au centre du film, l’héroïne étant appréciée par ses adversaires, ainsi que par son mai, qui, même en comprenant qu’elle a une aventure avec une femme, reste attaché à elle. "Même si Billie Jean a évolué dans sa vie privée, elle aime toujours son mari. Il y avait beaucoup d’amour entre eux. Elle déborde d’amour et de respect pour les gens en général, d’ailleurs. Elle s’intéresse à eux, et c’est ce qui fait qu’elle est aussi douée pour faire changer les choses."
Bobby Riggs était de son côté un ancien champion, multiple vainqueur dans les années 1940, qui était effectivement un parieur compulsif. Il a bel et bien lancé des défis aux plus grandes joueuses du début des années 1970, a battu Margaret Court, ce qui a "coincé" King, qui ne pouvait plus refuser de l’affronter. Très provocateur, il s’autoproclamait macho, aimait faire le show, attirer l’attention sur lui et ses paris, afin d’intriguer un maximum de sponsors, et donc d’en tirer un gros profit. Ses tirades misogynes n’ont donc pas été inventées pour le film !
Le film détaille son mariage houleux avec Priscilla Wheelan (Eilzabeth Shue), qui a bel et bien demandé le divorce, mais deux ans avant le match (en 1971). Ils étaient ensemble depuis 20 ans, Wheelan était en effet la plus riche du couple et elle l’a bien re-épousé en 1991, jusqu’au décès de Bobby.
Bobby a-t-il perdu le match exprès ?
C’est évidemment impossible à vérifier maintenant qu’il est mort, mais le film joue avec cette idée. Alors qu’il suivait des entraînements régulièrement (6h par jour 4 mois avant le match), Riggs a tellement voulu faire le show avant le match qu’il a peu à peu passé plus de temps à faire de la publicité, par exemple pour ses "pilules miracles", qu’à se préparer sur le court. Il a sans doute exagéré sa "centaine de prises" pour la caméra, mais quand même…
Aurait-il parié contre lui-même et gagné encore plus d’argent que prévu en perdant ? C’est ce qui se murmurait à l’époque, et la rumeur a longtemps couru, si bien qu’elle ne pouvait pas ne pas être évoquée dans le film. King a cependant toujours dit qu’il jouait "pour gagner, qu’il en bavait" face à elle et qu’il "se donnait à fond pour obtenir chaque point."
La bataille féministe était au cœur du match
La guerre entre Billie Jean King, la fondatrice du magazine World Tennis Gladys Heldman (Sarah Silverman) et l’homme à la tête de la fédération sportive, Jack Kramer (Bill Pullman) a bien eu lieu, mais dès 1970, alors que l’action du film est condensée entre 1972 et 1973. La chronologie a été un peu simplifiée pour le film, mais sur le fond, tout est vrai : se voyant refuser une augmentation, les filles ont lancé leur propre championnat, quitte à concurrencer ouvertement leurs homologues masculins. Et l’histoire de la paye d’1 dollar symbolique s’est passée exactement comme ça, la photo de l’époque l’atteste bien.
Quelques différences notables
Billie Jean King et Bobby Riggs sont devenus amis. On sent dans le film qu’ils y avait un certain respect entre eux, et la championne semblait s’amuser des provocations de son adversaire, mais il n’est jamais dit clairement que dans la vie, les deux sportifs sont véritablement devenus amis. En 2013, King expliquait qu’ils étaient restés en contact après le match et qu’ils avaient pu se dire combien ils tenaient l’un à l’autre juste avant la mort de Riggs. "Je lui ai dit que je l’aimais, il m’a dit qu’il m’aimait. Je crois qu’il était fier de lui."
La relation entre Billie Jean King et Marilyn Barnett a mal fini. Ce n’est pas mentionné à l’écran, sans doute car King et sa compagne Ilana Kloss étaient consultantes sur le film, mais l’histoire d’amour entre les deux femmes a fini par un procès (et elle n’a pas commencé exactement comme dans le film début 1970 mais en 1972, alors que le tournoi international féminin était déjà bien engagé). En 1981, Barnett a porté plainte contre King, considérant qu’elle devait lui léguer une partie de ses biens. Elle a perdu, mais cela a forcé la championne à faire publiquement son coming out.
Margaret Court était une adversaire plus agressive. Avant d’affronter King, Bobby Riggs a bien joué contre Margaret Court (incarnée par Jessica McNamee), lui offrant 10 000 dollars et pas 35 000, et il l'a battue. Les filles ont suivi le match en direct d’un aéroport, mais à la radio, car elles ne trouvaient pas de retransmission à la télévision. Court était bien la seule mère de famille de l’équipe. Très croyante, elle ne se mêlait pas aux autres joueuses et suspectait que le fait de partir en tournée entre filles allait développer "l’immoralité, le péché entre elles", comme elle le dit dans le film. Elle s’est depuis pleinement engagée en politique en Australie et milite contre les mouvements gays et lesbiens, un aspect de sa personnalité qui est à peine développé à l’écran. Faris et Dayton auraient pu en faire la vraie méchante du film aux côtés de Kramer, mais ils ont préféré insister surtout sur lui, car ses altercations avec King à propos des écarts de salaires entre les joueuses et les joueurs de la fédération ont eu un énorme impact sur le parcours de la championne. "Le plus impressionnant dans cette histoire, c’est la manière dont Billie Jean a affronté Jack Krammer. C’est une dispute civilisée, mais elle est très ferme, elle sait ce qu’elle veut, elle lui oppose bien ses arguments. Elle agit comme ça dans tous les éléments de sa vie. Elle respecte les gens, elle ne les rabaisse pas. Elle est un bon exemple, on aurait besoin de plus de personnes comme elle aujourd’hui. Dans la vraie vie, Margaret Court est totalement anti-gay. Avec Kramer, ce sont des personnages importants du film, car ils représentent une voix de cette époque. Elle militait contre les gays à l’époque, elle le fait encore aujourd’hui. Jack Kramer était quelqu’un de très respecté à ce moment-là. Beaucoup d’hommes pensaient comme lui, il représente une certaine façon de penser."
Bande-annonce de Battle of the Sexes, actuellement au cinéma :
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